Déni de tyrannie, soumission et souveraineté et servitude intellectuelles

 

Le déni est pour l’alcoolique ce qu’il est pour le peuple en tyrannie : la cause profonde de tous ses malheurs


Je te le répète, lecteur, car c’est trop important : n’oublie jamais que dans un système où l’on demande au peuple de choisir son maître, si ce dernier décide de remettre l’esclavage au goût du jour, la cause première ayant rendu possible cette injustice n’est pas cette loi injuste mise en place par le maître mais ce système injuste où l’on demande au peuple de choisir son maître ! La cause de l’esclavage résidera alors dans le fait que le chef a voté cette loi. La cause que ce chef aura pu voter cette loi sera que le peuple aura choisi ce chef. La cause que le peuple aura choisi ce chef sera qu’il évolue dans un système où on lui demande de choisir son chef. Et la cause que ce peuple évolue dans un système où l’on choisit son chef — c’est maintenant que l’approche devient plus profonde et sera développée dans les prochains chapitres —, est qu’il est aveugle, c’est-à-dire qu’il ne vit pas pour chercher la cause des causes de tous ses maux. En effet, l’aveugle se battra pour l’abolition de la loi autorisant l’esclavage, il le fera en la dénonçant et en criant à l’injustice mais celui qui vit pour la vérité et qui s’interroge en profondeur sur les problèmes dans la Cité, comprendra que la cause ayant permis à cet esclavage de naître est que le peuple vit dans un pays où il doit choisir son chef. Mais pour parvenir à cette prise de conscience, penser, méditer, sont de rigueur ! La plupart des gens ne savent pas le faire et se contentent de vociférer contre l’injustice. Faites penser les hommes et ils comprendront que le plus grave dans le fait d’avoir un maître esclavagiste est qu’il y ait un maître qui prend toutes les décisions pour eux ! Le meilleur moyen pour ne jamais donner le pouvoir à un chef esclavagiste, lecteur, est de ne pas choisir de chef tout court. Comprends qu’un maître peut devenir esclavagiste seulement s’il évolue dans un système qui lui permet de devenir le maître. Le meilleur moyen pour s’émanciper et pour prévenir l’esclavage est donc de ne jamais se nommer de maître. D’ailleurs à ce sujet, sache qu’aucun maître esclavagiste ne gagne le pouvoir en disant au peuple que son projet est de réaliser une société esclavagiste. Il lance son projet une fois qu’il est le maître : une fois qu’il est au Pouvoir ! Faites penser les hommes et ils comprendront que le plus grave, en cas de tyrannie, ce n’est pas tant le tyran mais le système qui permet au tyran d’être. Faites penser les hommes et ils comprendront que le meilleur moyen pour se prémunir de l’esclavage sous toutes ses formes ou d’une tyrannie, c’est d’évoluer en démocratie. C’est-à-dire dans un régime où aucun homme ou groupe d’hommes ne peuvent tyranniser le peuple puisque ce dernier ne délègue le pouvoir à personne.

Tout ce que je viens de dire ne vaut pas seulement pour l’esclavage mais pour toutes les folies, injustices, abus de pouvoir ou lois liberticides qui peuvent exister ou se produire dans un pays ! La cause de tous les abus de pouvoir, trahisons ou duperies est que tu choisis ton chef, prends-en conscience, citoyen, et médite sur cet aspect ! En t’attaquant à cette cause, tu t’attaques à la racine des trahisons, duperies, abus de pouvoir et de toutes autres injustices ! Si l’esclavage ou toutes autres folles et injustes lois doivent réapparaître un jour, tu en connaîtras la cause profonde ! Rappelle-toi que pour qu’un esclave s’émancipe, il doit se battre contre le système qui l’empêche de s’émanciper et non contre les lois de ce système et le chef qui les a concoctées ! Tu en as assez de ton président et de ses ministres, cesse de t’en plaindre et prends-en toi au système représentatif qui leur permet de te représenter ! À défaut de quoi tu ressembleras à un habitant de l’Enfer en prise personnellement à un démon qui le gouverne à un instant donné, mais qui ne comprend pas que même s’il parvient à avoir la tête de ce démon, un autre prendra sa place : en Enfer, il est vain de s’en prendre au démon qui pond les lois. L’Enfer, on le quitte ou on le maintient ! Pas d’autres alternatives pour ne pas subir les lois infernales et tyranniques du Malin. Sans cette clairvoyance, on ne combat pas efficacement ce lieu d’assujettissement et d’asservissement. Nombreux sont ceux qui se plaignent de la tyrannie tout en l’entretenant et ce parce qu’ils ignorent que le système du Malin est conçu de telle sorte qu’il offre à ses sujets la possibilité de pester contre lui tout en l’entretenant sans le savoir ! Je le répète, l’Enfer on le quitte ou on l’alimente. La tyrannie, aussi ! Pas d’entre-deux : pour la combattre, on la quitte. Sans violence. Seulement en cessant de l’entretenir. Aucune autre alternative n’est possible ! Tous ceux qui ne dénoncent pas une tyrannie naissante, soit parce qu’ils ne la voient pas, soit parce qu’ils ont peur de la regarder en face, la couve ! De même que le déni pour l’alcoolique est une cause majeure du maintien de son alcoolisme, de même, le « déni de tyrannie », d’abus de pouvoir, de totalitarisme, est une cause majeure du triomphe des tyrans, des abus de pouvoir ou du totalitarisme. Et à n’en pas douter une seconde, l’Enfer, comme la tyrannie ou le totalitarisme, sont peuplés d’opposants au  réel !

 

Un tel genre de déni est très dangereux. En effet, il peut conduire un peuple à vivre dans une cécité collective. Eh oui, si l’intelligence collective se manifeste par le fait qu'une équipe d'agents coopérants parvient à résoudre des problèmes plus efficacement que si chaque agent travaillait isolément, la cécité collective est le fait d’un grand groupe de personnes, un peuple, qui considère comme fausse une chose dont la véracité est pourtant évidente. Et ce par le biais du conformisme intellectuel et de la soumission au récit de l’autorité[1] qui sont les sublimations du conformisme[2] et de la soumission à l’autorité[3]. Je soutiens en effet que le conformisme et la soumission à l’autorité sont inscrits en l’homme, que celui qui ne médite pas sur sa nature profonde ne fera pas connaissance avec ces deux programmations génétiques et sera la proie des produits du conformisme et de la soumission à l’autorité : le conformisme intellectuel et la soumission au récit de l’autorité, que je nomme soumission intellectuelle. Le déni de tyrannie est une forme de cécité collective qui est elle-même la conséquence de plusieurs facteurs combinés : d’une part, une propension au conformisme intellectuel et à la soumission intellectuelle dues à un moi-pensant immature qui n’a pas fait connaissance avec la nature profonde de l’homme, et d’autre part, une manipulation de masse par les agents qui ont le monopole du récit. Médite sur ce que je viens de dire sur le déni de tyrannie, lecteur ! Non pas par passion de la psychologie mais par passion de la liberté ! Eh oui car de même qu’une femme qui fait un déni de grossesse, se retrouvera un jour ou l’autre, à sa grande surprise, avec un bébé dans les bras, de même, le peuple qui fait un déni de tyrannie, se retrouvera tôt ou tard avec des chaînes aux pieds. Pendant que tu refuses d’écouter ceux qui te disent que tu te diriges tout droit vers un régime autoritaire, citoyen, tu portes cet autoritarisme en toi, tu l’alimentes ! Le seul moyen pour faire avorter une tyrannie ou un régime autoritaire et pour se prémunir de leur naissance, c’est de s’armer contre le déni de tyrannie : écouter ceux qui dénoncent une tyrannie naissante avec le sincère désir de savoir s’ils disent vrai. Eh oui, si Milgram nous dit qu’il ne faut pas voir « dans le tandem autorité/sujet une relation dans laquelle un supérieur impose de force une conduite à un inférieur réfractaire[4] », et que lorsque « le sujet accepte la définition de la situation fournie par l’autorité, il se conforme donc de son plein gré à ce qui est exigé de lui[5] », de la même façon, il ne faut pas voir le peuple en tyrannie seulement comme une victime mais également comme une sorte de collaborateur passif ! C’est en cela que j’affirme que la soumission à l’autorité de Milgram est inscrite dans l’ADN de la Servitude volontaire de La Boétie. Elle la précède. La soumission intellectuelle, qui est, je le répète, le fait de ne pas avoir les ressources intérieures pour aller à l’encontre du récit de l’autorité, va de pair avec la soumission à l’autorité. Ces deux phénomènes mènent à la servitude volontaire. En d’autres termes, la soumission intellectuelle conduit à la servitude volontaire. Et de même qu’il y a une plasticité cérébrale chez l’humain, il existe une malléabilité intellectuelle. Il est si facile de formater l’individu pour le rendre incapable de remettre en question le récit de l’autorité ! Bref, l’entreprise qui consiste à transformer des êtres pensants en parfaits perroquets existe : l’École. C’est en ce sens que l’expérience de Milgram commence dès l’École qui accomplit parfaitement sa mission : anesthésier le moi-pensant de l’enfant, en faire un adulte-perroquet et sujet au déni de tyrannie, bref, un adulte qui n'a pas les « ressources intérieures » pour affronter l’idée trop douloureuse ou effrayante que la tyrannie est là. L’École, en anesthésiant le moi-pensant de l’enfant, le rend sujet au conformisme intellectuel, à la soumission intellectuelle et donc au déni de tyrannie. Elle enseigne beaucoup de choses aux élèves, à l’exception de la plus importante de toutes : la capacité de les remettre en question. Pire, elle profite de cette période sensible de l’enfant où le moi-pensant ne demande qu’à grandir et donc à être fortifié, pour l’avorter. Elle en fait donc des adultes non souverains intellectuellement, des adultes qui ont besoin de guides qui leur disent ce qu’ils doivent penser, ce qu’ils doivent croire qui est vrai ou faux, qui sont les gentils, qui sont les méchants etc. Des adultes ayant besoin de s’accrocher à des pensées prémachées et qui finissent par être biberonnés à la doxa malgré eux. La dépendance intellectuelle, véritable fléau, qui est l’incapacité de chercher la vérité soi-même, est le contraire de la souveraineté intellectuelle qui permet à une personne de suspendre son jugement devant tout récit. Elle génère des adultes qui répètent bêtement. Elle est le fruit d’un moi-pensant immature, castré, et elle  contribue à l’avènement et au maintien du déni de tyrannie. Pour résumer, l’immaturité du moi-pensant chez une personne lui occasionne un état de dépendance intellectuelle, laquelle entraîne une soumission intellectuelle ainsi qu’une soumission aux ordres de l’autorité, déroulant le tapis rouge à la tyrannie. La soumission intellectuelle mène à la soumission tout court, la dépendance intellectuelle mène à la dépendance tout court. Bref, la soumission intellectuelle engendre une sorte de servitude intellectuelle : des gens qui, soumis au récit de l’autorité, le défendent aveuglément et combattent ceux qui le remettent en question. Même si ce récit est contraire au réel, rempli de failles ou d’incohérences. Cette servitude intellectuelle est le meilleur terreau de la servitude volontaire.

Le point central de l'expérience de Milgram n'est pas tant que les gens se soumettent à l'autorité aveuglément mais que, animaux grégaires, ils sont programmés par la Nature pour évoluer dans une structure hiérarchique et conformiste, et donc pour avoir besoin d'une autorité humaine et idéologique, c’est-à-dire d’un chef à qui obéir et d’une doxa à répéter. Sans quoi ils ne sentent pas en sécurité. Ceci explique pourquoi l’homme au moi-pensant immature, celui-là même qui obéit à son animalité sans le savoir, a tant besoin qu'on lui dise quoi faire mais aussi quoi penser : le besoin instinctif de hiérarchie et donc d’autorité inscrit dans nos gènes engendre une tendance à la soumission aveugle à l'autorité et à la soumission intellectuelle et explique aussi pourquoi l’envie de se conformer au groupe et d’obéir à l’autorité, envies synonymes de sécurité pour les instincts, est, chez la masse, plus forte que l’envie de liberté. Qui plus est, ce besoin instinctif de hiérarchie explique également pourquoi chez la masse, les envies de se conformer à l’idéologie dominante ou au récit de l’autorité priment sur le désir de connaître la vérité. L’homme au moi-pensant immature, c’est-à-dire en vérité la plupart des humains, se moque autant de la liberté que de la vérité : il obéit à ses instincts sans le savoir et sans les connaître. Ce qu’il veut ? La sécurité. Ce qu’il fait ? Se fondre dans le groupe et soutenir l’idéologie dominante, apprendre, répéter le récit de l’autorité, lui obéir, le tout sans avoir les « ressources intérieures » pour remettre en question les façons de faire du groupe, l’idéologie dominante, le récit de l’autorité et ses ordres.

[1] Je nomme soumission intellectuelle, le processus psychologique qui se produit chez un individu lorsqu’il est incapable de suspendre son jugement devant le récit de l’autorité et qu’il s’y soumet aveuglément. Selon moi, ce mécanisme va de pair avec la soumission à l’autorité dont nous parle Milgram. Soumission intellectuelle et soumission à l’autorité ont le même fondement et s’auto-alimentent parfaitement.

[2] Le conformisme est un phénomène naturel chez les mammifères sociaux. À ce sujet, voir l’expérience de Asch pour comprendre la force du phénomène : expérience publiée en 1951, par le psychologue Solomon Asch qui démontre le pouvoir du conformisme sur les décisions d'un individu au sein d'un groupe.

[3] L’expérience de Milgram est une expérience de psychologie publiée en 1963 par le psychologue américain Stanley Milgram. Elle a pour but d’évaluer le degré d'obéissance d’un individu devant une autorité qu'il juge légitime et permet d'analyser le processus de soumission à l'autorité, notamment quand elle induit des actions posant des problèmes de conscience au sujet.

[4] Soumission à l’autorité. Stanley Milgram

[5] Ibid