Si le système le leur permet, les hommes au plus grand pouvoir d’achat ne renonceront pas à s’acheter le monde.
On entend souvent des chiffres comme : « 1 % de la population possède près de la moitié de la fortune mondiale, des richesses mondiales etc. ». Est-ce être un « complotiste » illuminé de trouver cela injuste ? Est-ce populiste de dire que ce n’est pas sain ? Si ces chiffres s’avèrent être vrais, alors celui qui les dénonce n’est pas « conspirationniste » mais sain d’esprit puisqu’il dénonce une injustice malsaine ! C’est plutôt celui qui accueille ces chiffres sans broncher, voire en les dédramatisant d’office ou pire, en les qualifiant de « thèses conspirationnistes » sans se pencher sérieusement et sincèrement dessus qui mérite d’être qualifié de fou ou d’aveugle ! Ce genre de chiffres n’est-il pas la preuve que les hommes, à l’instar des animaux dans la Ferme des animaux de George Orwell, peuvent vite muter en parfaits cochons et que par conséquent, le fait de ne pas instaurer de limite dans l’accumulation des richesses est une immense folie ?
Hier, ce genre de chiffres choquait le jeune homme que j’étais. Aujourd’hui, j’ai à peine vieilli mais j’ai beaucoup médité sur la question. Désormais, quand j’entends des gens dire qu’ils sont choqués d’apprendre que seule une poignée d’individus détient la moitié des richesses de la Planète, je rétorque : « C’est normal ! ». En effet, dans ce monde où il n’y a pas de limite dans l’accumulation des richesses, c’est même une conséquence logique. C’est systémique ! Désormais, c’est cette vérité-là qui me choque ! Je suis choqué de vivre dans un tel monde ! Je suis choqué de vivre dans un monde devenu la propriété de certains ! Mais une chose me choque encore plus : le fait que ce que je dénonce ici n’est pas une évidence pour tout le monde ! Les gens se plaignent des injustices mais ils n’ont pas compris que la plus grande des injustices — un petit nombre de milliardaires possèdent le monde — n’est qu’une suite logique. Eh oui, ce qui m’étonne le plus aujourd’hui, ce sont les gens étonnés par la réalité du monde : ces gens qui s’offusquent des conséquences et non des causes à ces dernières. Je suis un jeune homme choqué de vivre dans un monde de « choqués utiles » : de gens qui n’ont pas compris que la plus grande injustice est que les riches gouvernent et que le triomphe de cette ploutocratie, dans un monde capitaliste sans frein, est dans l’ordre naturel des choses. Presque aussi naturel que la loi de la gravité. Eh oui, comme l’a dit Rousseau, « le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, que de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargné au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne[1] ». Eh oui, si le système le leur permet, les hommes au plus grand pouvoir d’achat ne renonceront pas à s’acheter le monde en clamant qu’il est à eux. Et si ce monde est composé de gens assez simplets pour s’y conformer et s’y habituer sans esprit critique, alors ploutocratie aura de beaux jours devant elle.
[1] Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes. Rousseau