Personne ne possède le monopole des définitions, des informations ou des consensus ! Ces choses méritent toujours d’être débattues. Il ne faut pas avoir peur de les remettre en question. C’est même le devoir de tous, et ce, non pas par esprit de contradiction mais par amour de la vérité ! Celui qui pense n’ouvre pas le dictionnaire ou les journaux en les apprenant par cœur comme s’il s’agissait d’un livre divin. Celui qui pense, ouvre les dictionnaires et les journaux, lit leurs définitions, leur récit, et les remet en question pour ensuite « remettre par après, ou d’autres meilleures, ou bien les mêmes[1] » après les avoir « ajustées au niveau de la raison[2] ». Voilà pourquoi un système qui prive le peuple de ses libertés les plus fondamentales, comme le droit de légiférer, empêchera ce dernier de penser !
Et puis parlant de dictionnaire et de définition, lecteur, selon le Larousse, l’esclavage peut prendre plusieurs formes. Voilà comment ce dictionnaire, entre autres, qualifie l’esclave : « Personne de condition non libre, considérée comme un instrument économique pouvant être vendu ou acheté, et qui était sous la dépendance d'un maître. Personne soumise à un pouvoir arbitraire. Personne qui est sous la dépendance complète d'une autre personne. Personne entièrement soumise à quelque chose ; prisonnier : Les esclaves de l’argent. »
Si tu lis cette définition en pensant, tu comprends que quand bien même tu as le droit d’élire ton représentant, quand bien même tu n’appartiens à personne, quand bien même tu as le droit de crier dans la rue ton mécontentement contre tes maîtres, tu es bel et bien un esclave si tu es contraint de te lever tous les matins pour faire quelque chose que tu n’as pas envie de faire, et ce, uniquement dans le but de te nourrir et de rembourser une dette pour financer ton toit. Ne t’en déplaise, lecteur, les esclaves aujourd’hui sont encore légion partout dans le monde ! Il y en a des millions ! Dans chaque pays, des millions ! Et leur particularité, contrairement aux esclaves ordinaires ? Ils s’offusquent quand on les informe de leur condition ! Ils se fâchent contre la vérité et son porteur et non contre le maître esclavagiste : cette société d’hyper-travail et ses maîtres ! Je te dis que tu n’es pas en démocratie et ces propos te choquent ? Peut-être est-ce la première fois que tu les entends ? Je te dis maintenant que tu es esclave, esclave d’un système vicieux qui te fait croire que c’est toi qui choisis de faire ce que tu fais — te lever tous les matins pour courir après l’argent jusqu’à la veille de ta mort —, peut-être en ai-je trop dit ? Peut-être n’es-tu pas prêt pour ce second seau d’eau dans la figure ? Si je me trompe, lis Le Monopoly, un essai en deux tomes où je dénonce la société d’hyper-travail et d’hyper-consommation ! Bien que ce ne soit pas l’objet ici, je ne résiste pas à te dire le fond de ma pensée sur le salariat au 21e siècle : se lever le matin pour s’adonner à une activité dont on se passerait bien et ce parce que l’on évolue dans un système qui nous y contraint pour pouvoir manger, nourrir ses enfants et rembourser une dette à la banque, c’est être esclave ! Ne t’en déplaise, lecteur, si autrefois les chaînes des esclaves étaient visibles, aujourd’hui elles sont invisibles mais tout autant réelles ! Ce qui les rend d’ailleurs plus dangereuses encore. Eh oui, il est tout à fait possible de retirer les chaînes aux chevilles des esclaves tout en les maintenant dans leur condition. Les esclaves du 21e siècle en témoignent : leurs chaînes sont devenues immatérielles mais restées tout aussi contraignantes et tyranniques que des chaînes palpables. Ces chaînes immatérielles sont le produit de la société d’hyper-travail et d’hyper-consommation où tu es né ! Ces nouvelles chaînes, ce sont tes dettes, tes horaires à respecter, tes emplois du temps sacrifiant ta vie de famille, le salariat, le luxe inutile que tu confonds avec le bonheur. L'esclave aveugle et conditionné ne se rend pas compte de cette réalité puisqu'il n'a pas de chaînes qui lui serrent les chevilles. Pour s’en rendre compte, c’est-à-dire pour voir que la société actuelle est une société esclavagiste, il faut faire un effort : penser. Il faut avoir un moi-pensant mature. Ce moi-pensant permet de faire des prises de conscience, dont cette dernière. Voilà pourquoi les maîtres de notre société ont tout à gagner à ne pas laisser le temps aux gens de penser, à anesthésier leur esprit critique et à les hébéter. Alors certes, on pourra me rétorquer que dire aux gens qu’ils sont des esclaves est « populiste ». Eh bien je le prendrai comme un compliment ! D’ailleurs comme je te l’ai déjà fait remarquer, nombre de grands penseurs pourraient être taxés de populistes si on s’en tenait à cela. On pourrait le dire de Paul Lafargue pour qui les journées de travail étaient trop longues[3], de Konrad Lorenz pour qui le rythme de travail des hommes est insensé[4], d’Albert Jacquart[5] qui trouvait il y a quelques années à peine que le travail était une folie inventée par les hommes[6] etc. Et si l’on me rétorque que j’ai une vision naïve et utopique de la vie, eh bien c’est tant mieux puisque c’est ce pays — l’utopie — que je cherche avec mes jumelles, et tu devrais en faire autant au lieu de voir du « populisme » chez celui qui pense à la société idéale ! Cours un peu moins et pense un peu plus ! C’est grâce à ceux qui cherchent l’utopie que les peuples avancent toujours plus vers une société plus juste, plus saine et plus heureuse !
[1] « Pour toutes les opinions que j’avais reçues jusques alors en ma créance, je ne pourrais mieux faire que d’entreprendre, une bonne fois, de les en ôter, afin d’y en remettre par après, ou d’autres meilleures, ou bien les mêmes, lorsque je les aurais ajustées au niveau de la raison. Et je crus fermement que, par ce moyen, je réussirais à conduire ma vie beaucoup mieux que si je ne bâtissais que sur de vieux fondements, et que je ne m’appuyasse que sur les principes que je m’étais laissé persuader en ma jeunesse, sans jamais avoir examiné s’ils étaient vrais. »
Descartes, Discours de la méthode.
[2] Idem
[3] « Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitalise. Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis deux siècles, torturent la triste humanité. Cette folie est l’amour du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu’à l’épuisement des forces vitales de l’individu et de sa progéniture. »
[4] « Mon maître, Oskar Heinroth, avait l’habitude de dire en plaisantant : « à côté des plumes du faisan argus, le produit le plus stupide de la sélection uniquement intraespèce est, en Occident, le rythme de travail de l’homme civilisé. » Les hommes d’aujourd’hui souffrent de la maladie des managers, d’hypertension artérielle, d’atrophie rénale et d’ulcères d’estomac ; ils sont torturés par des névroses, ils retombent à l’état de barbarie parce qu’il ne leur reste plus de temps pour des interêts d’ordre culturel. Et tout cela peut être évité ; rien ne les empêche, en fait, de s’arranger entre eux pour travailler dorénavant un peu plus lentement. L’Agression, une histoire naturelle du mal. Konrad Lorenz
[5] Albert Jacquard. Biologiste, généticien et essayiste français. 1925-2013
[6] « Le travail n’est pas une nécessité, dans la Nature c’est un concept qui n’existe pas. »
« Le travail, c’est vraiment une perversion dans cette activité civilisatrice ». Albert Jacquard