Le spectacle de la politique
Hier, les circonstances ont fait que je me trouvais dans un lieu de restauration rapide à regarder le journal télévisé de vingt heures. À l’écran un ministre annonçait les lois qui étaient en train d’être discutées et qui seraient bientôt en vigueur dans le pays. On l’entendait expliquer les directions prises par les décideurs. Observateur dans l’âme, j’ai déporté mon regard de l’écran sur les clients qui assistaient à cette émission et qui semblaient en désaccord avec ces choix politiques. Je les entendais râler, se lamenter, s’opposer, s’énerver contre le discours du représentant du peuple. Parfois même, ils se moquaient de ses déclarations grotesques, déconnectées de la réalité. Une heure plus tard, le discours politique terminé, ces mêmes clients, après avoir invectivé le ministre à l’écran, râlaient de même sur l’entraîneur d’une équipe de football qui, à la mi-temps d’un match, expliquait ses choix aux journalistes : ils invectivaient, se lamentaient, s’opposaient, s’énervaient et parfois riaient nerveusement de désespoir ! Soudain, je me rendis compte que dans un système où règne la « démocratie représentative », les citoyens se comportent comme des supporters d’une équipe de football ! Mes concitoyens, derrière un écran de télévision ou sur les gradins d’un stade, se sentent membres et acteurs à part entière du régime démocratique qu’on leur fait vivre, alors qu’ils se contentent de commenter les choix de ceux qui ont le pouvoir de légiférer. Les approuvant par-ci, les désapprouvant par-là, mais toujours en les subissant et sans aucun véritable moyen d’action en cas de mécontentement ! C’est-à-dire sans aucun réel pouvoir. Mes concitoyens sont des supporters : ils s’énervent ou sont heureux des choix de l’« entraîneur du pays » mais n’ont ni pouvoir ni contre pouvoir. Ils assistent à un match, c’est tout.
Les élections, une kermesse pour adultes infantilisés ?
Ainsi quand j’observe un peuple écouter le chef de l’État, je ne vois plus ou moins que des supporters d’une équipe de football qui ont seulement la possibilité de manifester leurs joies et leurs déceptions mais qui ne peuvent ni participer activement aux choix politiques du club ni s’attaquer efficacement aux décisions des dirigeants du club !
Qui n’a pas déjà vu des supporters de football hurler leur colère dans les tribunes d’un stade, ou débattre entre eux ou avec des journalistes sportifs pendant des heures sur les choix de tel ou tel entraineur ou de tel ou tel dirigeant de club ? Ces supporters sont totalement conscients qu’ils n’ont aucun réel pouvoir, c’est-à-dire qu’ils ont seulement le droit de manifester leur mécontentement et de commenter les choix du club et c’est la raison pour laquelle ils ne sont pas pathétiques. Mais toi qui me lis en ce moment même, lecteur, et qui crois être citoyen de ton pays, réfléchis un peu et penses-y à deux fois avant de répondre à ces questions : as-tu le pouvoir de changer quoi que ce soit en ce qui concerne la politique de ton pays ? Légifères-tu, peux-tu au moins contrôler ceux qui le font ou n’as-tu en vérité que le droit de débattre avec les autres citoyens et de commenter les choix politiques pris par tes maîtres qui font les lois ? De débattre et de critiquer les choix de ces derniers ? Les supporters hurlent, huent, sifflent ou au contraire applaudissent, fêtent les victoires ou pleurent les défaites mais cela s’arrête là ! Toi, que fais-tu quotidiennement de plus en matière politique ? Tu ouvres une bouteille de Champagne quand celui pour qui tu as voté est élu ou tu pleures quand c’est celui pour qui tu n’as pas voté qui s’assoit sur le trône, voilà tout ce que tu fais ! Réveille-toi ! Ta soirée électorale a des airs de Finale de Coupe du monde et tu te crois citoyen ! Tous les quatre ans, il y a la fête du Football et tous les cinq ans, celle de la démocratie ! Mais ne t’y méprends pas, lecteur : s’il y a bien une fête tous les cinq ans, c’est celle de la pseudo-démocratie représentative, une pièce de théâtre électorale, une mise en scène pour les prisonniers de la Caverne. Pour qui l’observe en méditant, cette fête n’est autre que la cérémonie d’enterrement de la démocratie, ses funérailles ! Quelle frustration pour lui de voir des gens sabrer le Champagne en croyant célébrer la démocratie et leur citoyenneté lors de l’enterrement même de la démocratie. Quelle frustration pour lui de constater que si la démocratie se meurt, c’est à cause de ces fêtards qui se croient citoyens et qui se rendent aux funérailles de la démocratie, aux urnes, en pensant qu’en se comportant ainsi, elle est plus vivante que jamais ! Tu veux savoir à quoi ressemblerait la véritable fête de la démocratie ? Une sorte de référendum populaire à l’issue du quinquennat présidentiel où tous les citoyens seraient invités à réfléchir et à faire le bilan en toutes les matières, dans tous les ministères, et à dire si oui ou non le concept de la démocratie a été respecté ! S’interroger tous les cinq ans : se demander ce que veut dire ce concept et s’il est respecté ! En vérité, lecteur, la seule fête qui soit légitime, entre celle du ballon rond qui a lieu tous les quatre ans et celle de la « démocratie » qui arrive tous les cinq ans, c’est la première. La seconde n’est rien qu’une kermesse pour adultes infantilisés ! La kermesse électorale, la foire aux urnes ! En réalité cette kermesse, c’est la fête de la ploutocratie, comprends-le ! Ploutocratie que tu soutiens en élisant ton maître dans un monde dominé par la finance, et que tu célèbres tous les cinq ans. Eh oui, lecteur, retiens bien ceci : dans un monde dominé par la finance, le terme de démocratie représentative ne peut pas être autre chose qu’un oxymore.
Extrait de : Je pense, donc je légifère.