Répression tacite et crédit social


Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Cela vaut aussi pour l’autoritarisme, le totalitarisme et autre tyrannie en tout genre. Ces choses apprennent de leurs erreurs, elles évoluent, se peaufinent. Elles changent avec leur temps : les idéologies, les technologies et les mœurs de l’époque. Si elles mutent, c’est pour s’affiner et brouiller les pistes dans les cerveaux des gens qui ne connaissent que les formes d’autoritarismes passées et non les nouvelles pour avoir la chance de ne pas les avoir vécues.


J’ai parlé de société pharmaco-punitive et de répression tacite aux paragraphes précédents, approfondissons ces concepts.

Dans une société saine, le citoyen qui a fauté au regard de la loi est puni : il écope d’une peine de prison, d’amendes etc. Bref, dans une société « normale », le citoyen qui a volé, violé, agressé etc. est puni franchement. C’est également le cas dans un régime autoritaire mais de façon arbitraire : les sanctions s’abattent tant sur d’honnêtes citoyens que sur des opposants politiques. La répression tacite, elle, contraint les gens à faire ou à ne pas faire quelque chose sous peine d’être privés de droits et de libertés ou de subir des restrictions. Si c’est avant tout une répression par le chantage, c’est aussi d’une façon générale le fait de punir les citoyens de façon informelle, « dissimulée » : restreindre certaines de leurs libertés en les justifiant par un récit arbitraire. C’est entre autres une des méthodes des régimes autoritaires. En effet, en plus des violences policières, des emprisonnements, des inquisitions, des déportations, des exécutions sommaires, des tortures, des disparitions forcées ou d’autres punitions extrajudiciaires, le régime autoritaire traditionnel peut pratiquer la répression tacite, latente, informelle. Je nomme société de tacite répression la société autoritaire floue et sournoise, cet autoritarisme latent qui privilégie quasi uniquement ces aspects « légers » des régimes autoritaires traditionnels : l’extorsion de consentement, le chantage pour les honnêtes citoyens et la suppression des droits civiques ou la restriction de certaines libertés pour ceux qui refusent ce chantage : les opposants. Je répète, nous avons ici affaire à une société qui pratique l'extorsion de consentement pour les citoyens et la répression tacite, c’est-à-dire la mort sociale pour ceux qui refusent cette extorsion de consentement. 

Si dans la société de tacite répression, les restrictions peuvent porter sur des services non vitaux et ont en grande partie pour but d’embêter et de rendre difficile la vie du citoyen qu’elles visent, comme aller à la cafétéria ou prendre le train par exemple, que l’on ne s’y trompe pas, elles peuvent aussi lui faire vivre des dérives autoritaires qui n’ont rien à envier aux plus grandes dictatures : l’empêcher de travailler ou lui interdire l’accès à l’hôpital. On citera à titre d’exemple la société phamarco-punitive de la crise covid qui punit les citoyens qu’elle considère comme mauvais car en non conformité avec un récit, une idéologie, un courant de pensée, un prétexte arbitraire : « refuser le nouveau vaccin, alors expérimental, c’est favoriser l’essor de la pandémie ; ceux qui le refusent se verront donc privés de nombreux droits et libertés. » Cette société crée donc des règles, des lois qui lui permettent de punir un citoyen alors considéré comme « mauvais ». Elle se couvrira en disant que ses punitions ne sont pas arbitraires puisqu’elles relèvent d’un récit qui les justifie. Mais ce récit étant quant à lui bel et bien arbitraire, la société pharmaco-punitive peut tout à fait être considérée comme une véritable société autoritaire. Un autoritarisme 2.0 : une société autoritaire utilisant un seul outil de l’autoritarisme traditionnel, le « plus doux » : celui que je nomme répression tacite. C’est la raison qui la diffère d’un régime autoritaire « classique » qui en plus de punir par la répression tacite, punit arbitrairement qui elle désire de manière franche et décomplexée, c’est-à-dire par des procédés violents physiquement et parfois sans prendre le soin de les justifier par un récit. La société de tacite répression est un autoritarisme qui brouille les pistes : c’est une société qui peut prôner la démocratie et offrir le droit de vote à ses électeurs, une société où le pouvoir n’est pas officiellement détenu par un petit groupe de personnes, où règne la séparation des trois pouvoirs, où cohabitent une pluralité de partis politiques et d’idéologies, où l’opposition est en apparence active, mais qui en parallèle de tout ça pratique des sanctions arbitraires à l’encontre des « mauvais citoyens » et ce par le biais de punitions et restrictions en tout genre, bref de ce que je nomme ici la répression tacite. Que les choses soient claires : la répression tacite étant bel et bien de la répression, la société de tacite répression est donc bel et bien une société autoritaire. Le système de Credit score, c’est-à-dire de crédit social créé une société de tacite répression quand le pouvoir l’utilise de façon abusive. C’est-à-dire quand il devient intrusif, quand il a pour but de contrôler les citoyens, de les formater, de les conditionner, des les contraindre à adopter tel ou tel comportement ou d’exercer une répression sur les opposants. Et de même que « tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser », de même, tout outil ou technologie permettant au Pouvoir de contrôler les individus, finira tôt ou tard par devenir un outil asservissant et abusif aux mains du Pouvoir, c’est-à-dire à tourner à l’autoritarisme. C’est le cas de l’outil numérique. Bref, le crédit social a vocation à devenir autoritaire, c’est-à-dire à se transformer en société de contrainte, de surveillance, de contrôle, de conditionnement, de traçage, c’est inévitable. Je nomme cette société autoritaire qui utilise l’outil numérique pour contrôler et réprimer les humains : la société numérico-répressive. Et son autoritarisme s’appuiera principalement sur les restrictions et la répression tacite : rendre la vie difficile aux mauvais citoyens par une batterie de restrictions et contraintes.


La répression tacite est vicieuse : elle privilégie le fait de priver de leurs droits et libertés les « mauvais » citoyens, de les empêcher de vivre comme les autres citoyens, de les séparer du reste de la société, pire, elle invite de façon implicite le reste de la société à faire d’eux des boucs émissaires. Le tout sous couvert de démocratie représentative et de constitution. Ces règles ont pour but de forcer le citoyen à obéir sans qu’il puisse parler d’autoritarisme puisque les sanctions « lourdes » des régimes autoritaires classiques en sont absentes. Si la répression tacite a principalement pour but de rendre la vie infernale au « mauvais » citoyen, elle peut aussi en faire un sans-abri en l’empêchant de travailler sous prétexte qu’il n’a pas obéi à une règle ou un esclave moderne en l’obligeant à faire ou à ne pas faire quelque chose s’il veut conserver ses droits : droits de retirer de l’argent, d’utiliser sa carte bancaire, de travailler, de se soigner, de voyager, d’acheter des biens immobiliers, de réserver une chambre d’hôtel, d’aller au restaurant, de s’inscrire dans une école etc. À noter également que si une société décidait de se priver de l’argent liquide et de rendre uniquement utilisable une monnaie numérique, elle serait à un pas de virer vers une société de tacite répression puisqu’elle pourrait empêcher le citoyen d’utiliser son porte feuille numérique, son compte bancaire, sa carte de crédit, c’est-à-dire de vivre. Ce que je dis là n’est pas sans importance : il est en effet possible que la monnaie numérique soit le basculement d'une société vers une autre. Une société de contrôle des masses par ce qui est le plus important aux yeux des masses, ce pour quoi elles se lèvent tous les matins : l’argent. La monnaie numérique pourrait bien être être les prochains fers qui serreront les chevilles des hommes en tant qu’outil de contrôle et d’asservissement. Si la monnaie fiduciaire a rendu les hommes esclaves de l'argent, la numérique risque d’en faire des esclaves tout court.


Je le répète, la société de tacite répression, tel le crédit social chinois ou la société pharmaco-punitive privilégie chantage, contraintes et restrictions plus ou moins gênantes que sanctions franches. Certes, tout autoritarisme est toujours « tacite » dans le sens où aucun tyran ni dictateur n’annoncent à son peuple qu’il vit dans un régime autoritaire ; néanmoins, la société dont je parle, de par ses sanctions vicieuses, sournoises, « souples », mais non moins réelles, pratique un autoritarisme plus tacite que les autres. Ce genre de société est très dangereux. Grâce à ses contours flous, elle a plus de chance de perdurer qu’un régime autoritaire traditionnel : la révolution est retardée, le peuple reste apathique dans sa majorité. Dans ce genre de société, la lassitude collective aboutit à une accoutumance aux anormalités et aux dérives liberticides. Le risque est que les gens finissent vite par la considérer comme une société tout à fait normale, pire, qu’ils finissent par la considérer comme la meilleure qui soit. Eh oui, si les peuples s’habituent à la tyrannie, comme l’avait remarqué La Boétie, alors quand il s’agira de répressions tacites, dissimulées et couvertes par un récit, ils s’en accommoderont aisément. C’est l’évidence même ! Après tout, lecteur, si on a réussi à faire croire aux peuples que le meilleur régime politique pour eux était celui qui consistait à se choisir des maîtres, on réussira à leur faire croire que la société numérico-répressive, ou crédit social chinois, est la meilleure qui soit. Eh oui, la dictature parfaite ne serait-elle pas « une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient même pas à s’évader », « un système d’esclavage où les esclaves auraient l’amour de leur servitude » ? Quand on voit à quoi l’empire capitaliste a réduit l’homme occidental : un consommateur, c’est-à-dire une personne qui confond la liberté et la liberté de consommer, je pense qu’il ne sera pas bien compliqué pour les maîtres de l’empire de faire accepter aux cheptels de consommateurs le crédit social chinois. Il suffira de leur demander d’obéir pour pouvoir continuer à croquer dans leur Big Mac, à regarder leur match de foot ou leurs séries Netflix. Une grande partie obéira sans jamais se rebeller. Pourvu qu’ils puissent consommer un minimum, les consommateurs occidentaux ne se rebelleront pas. Pire, eux qui confondent la liberté avec la liberté de consommer, ils se croiront libres puisqu’ils seront dans une société qui ne les prive pas de leur raison de vivre : les magasins, Netflix, les parties de foot-ball, McDonald etc. La société pharmaco-punitive en a témoigné ! Je pense d’ailleurs que la société pharmaco-punitive a été un excellent moyen pour les maîtres de voir ce que la plupart des gens étaient prêts à accepter. La réponse est effrayante : si une partie non négligeable de la société a accepté de s’injecter un produit expérimental pour pouvoir, grosso-modo, continuer à consommer des Big Mac, alors que pensez-vous que ces pauvres fous feront le jour où on leur imposera un système de crédit social ? Je vous le dis, le crédit social chinois et la puce dans le bras, les gens les déjà acceptés !

Je soutiens que la société pharmaco-punitive a été, entre autres, utilisée dans le but de mesurer jusqu’où irait la soumission des peuples : voir jusqu’où les gens étaient prêts à obéir, ce qu’ils étaient prêts à accepter, voire réclamer, et dans le cas contraire, quand et comment ils se révolteraient. Cela dans le but de peaufiner l’avènement des prochaines répressions tacites ou carrément de la prochaine société de tacite répression : la société numérico-répressive ou crédit social chinois qui est une société autoritaire de contrôle par le numérique. 

La société de contrôle, nous avons déjà un pied dedans avec l’outil numérique. Tu te demandes ce qu’est que la société de contrôle ? Eh bien, vois-tu ce qu’est un panoptique ? C’est un type d'architecture carcérale imaginée par le philosophe Jeremy Bentham à la fin du 18e siècle. La structure panoptique permet à un gardien se trouvant dans une tour d'observer tous les prisonniers enfermés dans des cellules individuelles sans qu’ils ne puissent savoir s’ils sont observés ou pas. Et ce pour donner aux détenus le sentiment d’une surveillance constante. Eh bien, citoyen, comprends bien une chose : avec l’essor des nouvelles technologies, la société de demain risque fort de ressembler à une société où les citoyens seront semblables à ces prisonniers du panoptique. Ils seront sous contrôle permanent de celui qui a le monopole de l’outil numérique, c’est-à-dire de l’État. L’État pourra savoir ce que tu dis, ce que tu penses, ce que tu fais, où tu es, avec qui etc. Et avec cet outil, il pourra te punir si tu ne dis pas ce qu’il faut, ne penses pas ce qu’il faut, n’es pas où il faut et avec qui il faut. Comment ? En te retirant des libertés, en t'empêchant d’accéder à des lieux, de retirer de l’argent, d’avoir accès à des services etc., bref, par de la répression tacite. Numérico-tacite plus exactement puisqu’il lui suffira de désactiver ton QR code ou de le mettre à jour selon des restrictions personnalisées ou générales. Le panoptisme numérique est bel et bien ce qui pend au nez des humains.

Ploutocratie, essai à paraître.