Quand une personne dort, elle quitte le monde de la conscience, c’est-à-dire que son moi pensant dort et ne peut pas se voir en train de dormir. Le rêveur est seulement acteur de son rêve sans en être spectateur. Peu importe son niveau d’intelligence, le rêveur n’est d’aucune utilité tant qu’il dort. Quelle utilité peut avoir le virtuose des calculs, celui qui serait capable de résoudre l’équation permettant à chaque homme sur Terre de manger à sa faim, s’il dort éternellement ? Le dormeur peut être le champion du monde des calculs, il ne fera jamais avancer le grand Progrès. Ce dernier est toujours l’œuvre de ceux qui veillent, c’est-à-dire de ceux qui pensent. En effet, «s’il arrivait même en dormant, qu’on eût quelque idée fort distincte, comme par exemple, qu’un géomètre inventât quelque nouvelle démonstration, son sommeil ne l’empêcherait pas d’être vraie », de même, s’il arrivait, toujours en dormant, qu’un homme résolve l’équation de la Justice, son sommeil ne l’empêcherait pas d’être vraie non plus. Cependant, le sommeil empêcherait le premier de réaliser ses démonstrations dans le monde réel et d’en faire profiter ses frères, et le second, de faire triompher la justice dans ce même monde. Le premier, comme le deuxième, est inutile tant qu’il ne se réveille pas. Il est inutile et même dangereux de vouloir rendre toujours plus brillant un dormeur. Aucun somnambule ne deviendra le sauveur de ses frères en sortant de l’usine à calculettes. C’est-à-dire en sortant d’un endroit qui lui a enseigné beaucoup de choses, qui ne l’a jamais réveillé, mais qui a plutôt réuni tous les ingrédients pour le maintenir dans son état de somnolence. Le chaînon manquant entre l’animal et l’homme vraiment éveillé, ce sont les somnambules, ils sont nombreux et il faut les réveiller !
Le jour où les élèves vivront pour penser, pour comprendre et pour connaître la vérité, ils comprendront que l’École dans laquelle ils se rendent chaque jour est une usine à calculettes, le jour où leurs parents vivront de la même façon, ils comprendront que l’École où ils envoient leurs enfants est une usine à calculettes et ils la feront fermer. Mais pour que parents et enfants parviennent à comprendre cela, il faut qu’ils se mettent à penser, que leur esprit critique se réveille, or, l’usine à calculettes dans laquelle ils se trouvent et dans laquelle ils ont passé leur enfance a éteint leur petite flamme de conscience. Il faut en effet que le somnambule se réveille pour qu’il comprenne que sa mission principale est de se réveiller et que celui qui lui chante des berceuses du matin au soir est coupable de quelque chose de grave. La chose peut sembler difficile mais je ne pense pas qu’elle soit fatalement impossible. Sinon je n’aurais pas eu l’énergie d’écrire ces lignes et aurais consacré mon temps à autre chose. Ce livre n’est pas une grande prière mais un humble essai.
Une chose capable de s’interroger et de chercher les réponses à ses interrogations doit se demander quelle est la cause des causes, c’est sa mission de créature pensante, d’adulte et d’homme civilisé. Cela doit devenir sa raison de vivre. Je me suis demandé quelle était la cause des causes de tous les maux dans la Cité des hommes et je crois avoir mis le doigt sur quelque chose d’intéressant : la cause des causes de tous les maux du monde des hommes est que leur moi pensant est immature. Ils ne vivent justement pas pour chercher la cause des causes alors que la Nature leur en a donné la possibilité.
Pourquoi le monde des hommes ressemble-t-il à celui des abeilles dans leur ruche ? Parce que comme les abeilles, la plupart des hommes ne vivent pas pour s’interroger et chercher la réponse à leurs interrogations, ils ne vivent pas pour se demander quelle est la cause des causes de leurs problèmes et la trouver. L’École dans la Caverne des aveugles n’est que l’ombre de l’École. Il faut être solidement attaché au fond de cette Caverne obscure pour ne pas constater que l’École d’aujourd’hui est une usine à calculettes ! La triste ironie du sort : pour que les prisonniers aveugles de cette Caverne s’en rendent compte, il faudrait qu’on ait tout tenté pour que leur moi capable de se demander si ce qu’ils voient est vrai ou seulement l’ombre de la vérité, grandisse: il faudrait qu’ils aient fréquenté une École véritable et non son ombre !
Je suis un jeune homme qui croit que les hommes ne pensent pas assez, qu’ils ont un moi pensant faible. Je crois que ce faible moi pensant est la cause des causes de tous les maux de leur monde. Je crois donc que l’École devrait avoir comme mission première de faire grandir ce petit philosophe qui sommeille en chacun d’entre nous. Je constate simplement et dénonce en images que ce n’est pas le cas et qu’au contraire, elle les empêche de penser et donc d’éveiller leur conscience.
Les boulangeries qui tentent de faire du pain avec des choux, des œufs et des casseroles ainsi que les Écoles qui ne font pas penser les élèves, sont des entreprises qui ne portent qu’un masque. Dans un monde rempli de fausses boulangeries, les hommes ne mangent pas de pain. Ils peuvent alors s’énerver contre tout ce qu’ils veulent, s’ils ne s’en prennent pas aux boulangeries qui veulent faire du pain avec des œufs, des choux et des casseroles, il s’en prendront aux conséquences de la Cause. Ils s’épuiseront et leur révolte sera stérile. Ce qu’ils doivent faire: se demander quelle est la cause des causes et la chercher. Cependant, ce sont ces derniers imposteurs, les prétendues Écoles, que je dénonce ici et dénoncerai ailleurs, car je pense que leur tromperie est autrement plus grave que celles qu’occasionneraient des prétendues boulangeries. Si un monde avec de telles boulangeries existait, les conséquences de ces imposteurs ne seraient en effet que des détails à côté de celles qu’engendrent des usines à calculettes qui se font passer pour des Écoles ! En effet, si toutes les Écoles du monde sont des usines à calculettes, c’est-à-dire des entreprises où l’on ne fait pas penser l’enfant et où l’on stoppe la croissance de son moi pensant, il est logique que la plupart se moquent de s’interroger, de connaître les réponses à leurs interrogations et donc de se demander quelle est la cause des causes de tous les maux du monde et de vivre pour trouver la réponse. A mes yeux, le fait que le moi qui pense des hommes soit faible est à l’origine de tous les maux du monde des hommes. Je pense donc que celle qui se fait passer pour l’École alors qu’elle empêche les enfants de faire grandir leur moi pensant, a une part considérable de responsabilité.
Dans un monde où les gens ne mangent pas de pain, la cause des causes de ce mal se trouve dans ces prétendues boulangeries qui font du pain avec des choux, des œufs et des casseroles. Mais dans un monde où certains ne mangent pas tout court, c’est-à-dire dans un monde où l’on a pas réussi à résoudre l’équation qui permettrait à chaque homme d’avoir une assiette de riz par jour alors que certains d’entre eux se baignent dans des océans de riz, la cause des causes de cette injustice est l’immaturité du moi pensant des hommes. Bref, la cause des causes de chaque injustice vient toujours du fait que le moi capable de se demander si une chose est juste ou non, de douter de la réponse et de vivre pour la trouver, soit faible, autrement dit, que les hommes ne vivent pas pour connaître la vérité. Les hommes jouissent d’un moi qui pense faible: ils ne vivent pas beaucoup plus que les animaux pour se demander si une chose est juste ou non et ils obéissent à leurs instincts sans en être beaucoup plus conscients que les autres créatures de la Nature.
Dans un monde injuste, se battre uniquement contre les injustices, leur consacrer toute son énergie, est usant et improductif ; il convient plutôt d’en chercher la Cause commune, c’est à elle qu’il faut s’attaquer ! Car si on se bat directement contre les injustices du monde, on se bat contre des conséquences de la cause des causes, c’est-à-dire contre les mauvaises herbes et non contre celui qui les a semées et qui vient tous les jours les arroser. On perd son temps et on se fatigue comme ce pauvre aveugle qui se casse le dos et se brûle les mains en consacrant toute son énergie à arracher les ronces et les orties. Si la cause des causes est que les hommes ni vivent pas pour savoir quelle est la cause des causes, c’est-à-dire pour penser, il est alors urgent de faire grandir leur moi pensant, d’éveiller leur conscience. La plupart des hommes vivent avec un moi pensant faible – et donc une conscience endormie – et toutes les conditions dans la Cité sont réunies pour qu’ils demeurent ainsi. Je crois que la cause commune de tous les problèmes dont souffrent les hommes est qu’ils ne pensent pas assez, je crois que « l’École » anesthésie le moi pensant des élèves au lieu de le développer, ai-je donc le droit de faire le procès d’une institution qui contribue selon moi aux maux de la société ? Je ne sais pas si j’ai le droit mais je sais que j’en ai le devoir.