Ils ne doivent pas être très nombreux, les élèves qui se rendent avec passion à l’usine à calculettes. Toutefois, parmi ceux qui s’y rendent avec le moins d’enthousiasme, on pourra logiquement retrouver ceux jouissant d’un moi pensant mature, ceux-là même qui vivent pour s’interroger et avoir les réponses à leurs interrogations, ceux-là même qui veulent comprendre et qui se braquent sainement quand on leur demande d’apprendre sans penser.
Celui qui vit pour comprendre et non pour seulement apprendre ne doit pas se sentir à sa place sur cette Terre remplie de personnes qui ne ressentent pas le besoin de comprendre et qui peuvent apprendre sans demander « pourquoi ? ». Celui qui n’a pas seulement l’envie mais le besoin de comprendre a des difficultés à trouver sa place dans l’École d’aujourd’hui, c’est-à-dire dans une usine à calculettes où l’on se contente de demander aux élèves d’apprendre à lire pour ensuite apprendre un livre et d’observer qui a le mieux appris. Il pourra connaître les mêmes difficultés à trouver sa place sur cette Terre où évoluent des créatures fatalement incapables de méditer sur elles-mêmes : animaux et plantes, et des créatures qui pourraient le faire mais qui s’en passent et vivent heureuses ainsi les hommes sauvages.
L’animal ne vit fatalement pas pour s’interroger et connaître les réponses à ses interrogations, la Nature ne lui a pas offert le matériel nécessaire pour le faire, il est fatalement insensible à la vérité. L’homme sauvage ne vit pas pour s’interroger et connaître les réponses à ses interrogations bien que la Nature lui en ait offert le matériel, il est insensible à la vérité alors qu’il pourrait vivre pour elle. L’homme civilisé est fatalement contraint de s’interroger et de chercher les réponses à ses interrogations, il utilise tellement le matériel que lui a offert la Nature et qui lui permet de dire « pourquoi ? » qu’il ne peut pas vivre sans s’en servir. J’ai dit que l’homme civilisé peinerait à trouver sa place dans un monde rempli d’animaux et d’animaux dépravés véritables, mais en réalité je pense qu’il est à sa place sur cette Terre ! Il est une créature de la Nature, cette dernière lui a offert un moi capable de s’interroger et de vivre pour trouver les réponses à ses interrogations, bref un moi qui médite, et il utilise ce cadeau qui lui a été fait. Ce sont les autres, qui même s’ils sont légions, ne sont pas à leur place sur cette Terre. Ils sont entre l’animal et «l’homme vraiment humain ». Il n’y a pas de place entre ces deux états. Celui qui se trouve entre ces deux états est pour moi l’animal dépravé véritable, et si le monde des hommes est dépravé, il ne faut pas aller chercher très loin pour en comprendre la raison, seulement méditer.
La Terre est faite à la fois pour les « machines à survie » fatalement incapables de savoir qu’elles obéissent à un moi aveugle, incapables de poser des questions et de vivre pour connaître les réponses, et pour les « machines à survie » qui, d’une part, ont conscience de ce moi aveugle qui évolue en elles et les dirige, et d’autre part, sont capables de se poser des questions, de vivre pour trouver les réponses, et consacrent leur vie à cela. La Terre est faite pour les animaux, les plantes, les hommes civilisés et personne d’autre ! Il n’y a pas de place pour des « machines à survie e» qui pourraient penser mais qui ne le font pas !
L’École, en ne faisant pas grandir le moi capable de s’interroger de ses élèves, et pire, en l’anesthésiant, est une fabrique d’hommes sauvages ou, ce qui est pareil, d’animaux dépravés. Mettez quelques hommes civilisés dans cette société et ils crieront à l’imposteur.
Si le lecteur pense que l’homme intelligent est seulement celui qui est capable d’effectuer de grandes opérations, je lui dis à nouveau que « l’intelligence » n’est rien à côté du moi capable de dire « pourquoi ? ». En effet, quand bien même la ruche réussirait à résoudre des équations qu’aucun homme ne parvient à résoudre, elle serait toujours dans le présent Univers, minuscule à côté d’un cerveau capable de dire « pourquoi ? ».
A mes yeux, un cerveau qui ne pense pas ne peut pas être considéré comme plus intelligent qu’un cerveau qui pense, même s’il est capable de résoudre des équations que le second ne sait pas résoudre. Le cerveau qui pense, même s’il ne sait pas résoudre une équation, a conscience de son incapacité, il a compris plus de choses que celui qui sait la résoudre sans penser. Il aura compris qu’il n’avait pas compris et c’est la raison pour laquelle, seul lui pourra finir par comprendre quelque chose. Pour finir par savoir quelque chose il faut en effet commencer par savoir que l’on ne sait rien : l’immense interrogation « pourquoi ? » naît dans le cerveau d’un être quand ce dernier comprend qu’il ne comprend pas une chose. Si Einstein a été un homme intelligent, ce n’est pas parce que dans son cerveau ont germé de grandes réponses, mais avant toute chose, parce que de ce dernier ont jailli des interrogations, parce qu’il avait compris qu’il n’en connaissait pas les réponses et parce qu’il a vécu pour les trouver. Bref, s’il a été intelligent, c’était à mes yeux parce qu’il vivait pour penser, c’est-à-dire pour s’interroger et trouver les réponses à ses interrogations, d’une part, et qu’il savait trop qu’il ne les avait pas ou qu’il ne les comprenait pas, d’autre part. Celui qui à l’intérieur même de cet homme est parvenu à trouver les questions qui ont amené de grandes réponses et qui a vécu pour les trouver, a été le moi qui s’interroge, le moi qui pense d’Einstein. Si Darwin a été intelligent, c’était d’abord parce qu’il a regardé les créatures de la Nature en pensant : en demandant « pourquoi ? » et ensuite parce qu’il a trouvé les réponses à cette question. Sans moi qui pense mature, ces deux hommes n’auraient trouvé aucune réponse, puisqu’ils ne se seraient posé aucune question et n’auraient donc pas vécu pour connaître les réponses ou, ce qui est pareil, pour connaître la vérité. Si ces hommes ont été intelligents, c’est d’abord parce qu’ils se posaient des questions et ont vécu pour trouver les réponses et seulement ensuite parce qu’ils sont parvenus à les trouver.
L’intelligence de l’homme commence avec le mot « pourquoi ». Un homme qui ne prononce jamais ce mot pourra résoudre les plus grandes équations du monde, toutefois j’aurais des difficultés à le considérer comme étant plus intelligent que celui qui ne sait pas compter mais qui ne sait vivre sans prononcer ce mot. Celui qui a appris à résoudre de belles équations mais qui ne dit jamais « pourquoi ? », c’est celui qui vit sans penser et qui peut apprendre sans comprendre. Il ressemble à une brillante calculette pour celui qui vit tellement pour penser qu’il ne peut pas ne pas s’interroger, sauf quand il dort. Ce dernier, lorsqu’il lui parle, doit avoir l’impression d’échanger avec une machine, brillante certes, mais une machine quand même. L’homme se distingue de la machine parce qu’il se pose des questions, doute des réponses et vit pour les trouver, d’une part, et parce qu’il jouit quand il les trouve et est frustré quand il ne les trouve pas, d’autre part. Celui qui ne peut pas s’empêcher de s’interroger et de vivre pour trouver les réponses se distingue des autres hommes qui vivent heureux sans se poser de questions. Il ressent la même sensation d’étrangeté en présence de ces derniers que celle que peuvent ressentir ceux-ci en présence des machines.
La machine pourra résoudre les plus grandes équations du monde, elle n’apportera jamais aucune lumière. Elle vit fatalement dans l’obscurité sans le savoir puisqu’elle est aveugle, c’est-à-dire qu’elle est incapable de se demander si elle évolue dans le noir ou non, de douter de la réponse et enfin de vivre pour la trouver. L’intelligence de celui qui ne pense pas est stérile. Je pense que ceux qui ont trouvé de grandes réponses ont toujours été des hommes qui vivaient pour penser. Einstein et Darwin ont d’abord pensé, c’est-à- dire ils se sont d’abord interrogés et ensuite sont parvenus à trouver les réponses à leurs interrogations. Ils ont d’abord compris qu’ils évoluaient dans l’obscurité, en ont été frustrés, ont eu envie de voir à quoi ressemblait leur monde sous la lumière, ont passé leur vie à tenter d’en apporter un peu et y sont parvenus. Ce peu de lumière qu’ils ont amenée dans l’obscurité des hommes a d’abord été due à leur moi qui pense et seulement après à leurs capacités au-dessus de la moyenne. Ils vivaient pour débusquer les vérités et comprendre l’Univers et jouissaient deux fois quand ils y parvenaient, une première fois quand ils comprenaient une chose et une seconde fois quand ils comprenaient qu’ils la comprenaient : quand ils se voyaient en train de la comprendre. Ils étaient frustrés quand ils comprenaient qu’ils n’en avaient pas compris une autre. Ces hommes ont été intelligents parce qu’ils sont parvenus à trouver de grandes réponses, certes, mais surtout parce qu’ils ont réussi à trouver les questions à ces grandes réponses, à comprendre qu’ils ne les maîtrisaient pas et à ne pas aimer cette sensation exactement comme un homme n’aime pas le poil à gratter qu’il a sous les vêtements. Celui qui a du poil à gratter sur la peau se grattera, il n’aimera pas ce qu’il ressent et sa raison de vivre sera de se débarrasser de ce corps étranger. Celui qui a compris qu’il n’avait pas les réponses à ses interrogations et qui ne peut pas s’empêcher de penser – et donc de s’interroger – ressentira la même chose, une terrible démangeaison. Il vivra pour trouver les réponses à ses questions, c’est l’intelligent véritable. Il développera les capacités de son cerveau grâce au fonctionnement de ce dernier. Je pense en effet que le moi qui s’interroge et doute des réponses à ses interrogations a beaucoup contribué au développement des capacités des hommes dont je viens de parler ; je dis qu’il est producteur d’intelligence puisque c’est lui qui s’interroge. C’est quand il est mature chez un homme, que ce dernier tentera de comprendre ce que ses sens lui montrent et musclera son cerveau.
L’École a choisi de dire que le plus intelligent était la brillante calculette, je dis que c’est celui qui s’interroge le plus, ou ce qui est pareil, celui qui pense le plus. Celui-là même qui sera le plus sensible à la vérité. Et si je me méprends sur la définition de l’intelligence, alors je répète encore une fois qu’elle n’est rien à côté du moi capable de dire "pourquoi ?". L’homme qui ne sait pas combien font 5 + 5 mais qui pense est plus intelligent que l’ordinateur qui sait combien fait 456 divisé par 654 mais qui ne pense pas. Au lecteur non convaincu, je demande s’il accepterait d’échanger sa place avec une machine « plus intelligente » que lui.
Celui qui demande « pourquoi ? », qui ne comprend pas la réponse à cette question mais qui comprend qu’il ne la comprend pas est plus intelligent que celui qui apprend cette réponse, l’utilise comme une brillante calculette saurait l’utiliser, mais sans comprendre qu’il ne l’a pas comprise. Le premier sera frustré de comprendre qu’il ne comprend pas et jouira quand il y parviendra, le second utilisera cette réponse, sera capable de résoudre des équations mais ne jouira jamais de les résoudre, il ne comprendra pas ce qu’il fait. Une ruche pourra résoudre des équations d’Einstein ou de Newton, elle sera toujours moins intelligente que moi qui écris ces lignes, qui ne sais pas résoudre lesdites équations mais qui en suis conscient, c’est-à-dire qui ai compris que je ne les ai pas comprises.
Quelques immenses soient les capacités d’une ruche ou d’un ordinateur, ces derniers seront toujours minuscules à côté d’un cerveau qui pense et quelles que soient les capacités d’un cerveau, celui qui pense beaucoup aura une conscience plus éveillé et sera donc à mes yeux au-dessus de celui qui ne pense peu ou pas.