Le rôle de l’École devrait toujours être d’aider les élèves à faire grandir leur moi pensant et non de les former en spécialistes, c’est-à-dire de les faire penser et non de se contenter d’en rendre certains brillants en additions, d’autres en soustractions et d’autres en multiplications. L’École devrait avoir comme mission d’aider ses élèves à se trouver avant de les aider à trouver la solution d’une équation mathématique, de les aider à se trouver avant de les aider à trouver une place dans la société. Car celui qui ne s’est jamais trouvé lui-même, qui n’a pas compris qui il est mais qui est capable de résoudre de grandes équations sera un « chien savant1 » et comme tous les chiens, il obéira à son moi aveugle programmé pour survivre sans le savoir.Le chien savant est très dangereux pour lui comme pour ses frères. Le chien, même savant, reste plus ou moins un loup pour l’homme et il sera dans ce cas précis, plus dangereux encore pour ses frères qu’un chien ordinaire.
Quand on se contente de demander aux élèves d’apprendre à lire, écrire et compter pour ensuite leur demander de lire des livres, de résoudre des équations mais jamais de penser, on ne fait que développer l’intelligence de somnambules en les maintenant dans leur état, on développe les capacités du cerveau de « machines à survie » sans éveiller leur moi capable de comprendre qu’elles sont des «machines à survie » obéissant à un moi aveugle. On développe les capacités cognitives de sauvages, au lieu de les aider à ouvrir les yeux pour qu’ils voient qui ils sont, fassent connaissance avec eux-mêmes et entrent dans le monde des hommes civilisés.
L’École devrait avoir comme mission première d’aider ses élèves à devenir des adultes, de les aider à comprendre qui ils sont, de les aider à se trouver eux-mêmes, faute de quoi elle rendra intelligents des aveugles au lieu de les aider à ouvrir les yeux. Et alors, quand bien même ils sauront lire, écrire, compter et résoudre les plus grandes équations possibles de résoudre dans cet Univers, ils pourront se perdre dans leur propre maison. Et si se perdre hors de sa maison, c’est-à-dire dans la forêt ou la jungle, n’est pas si grave, car il est en effet toujours possible de trouver un indigène pour nous montrer le chemin, se perdre dans sa propre maison, c’est-à-dire à l’endroit même où l’indigène c’est nous, est une affaire autrement plus inquiétante !
L’animal ne se perd pas, il obéit au Réalisateur-Nature sans se voir en train de lui obéir, sans être capable d’être spectateur de sa vie : le réalisateur dicte le scénario à l’acteur sans que ce dernier ne se rende compte qu’il ne fait rien d’autre que lire un scénario, mais cet acteur ne se perd pas chez lui. L’homme civilisé ne se perd pas non plus chez lui, il a conscience de la présence de ce réalisateur, il l’observe en tant que spectateur pour comprendre qui il est, il médite sur lui et ne lui obéit pas aveuglément. L’homme sauvage n’a pas conscience de la présence de ce réalisateur, il ne l’observe pas en tant que spectateur alors qu’il le pourrait. Ce spectateur existe en lui mais il ne fait pas son travail, au contraire il ferme les yeux devant le réalisateur et l’acteur finit par lui obéir sans le savoir et par se perdre. Tôt ou tard, il ressemblera à un animal égaré, dépravé. Se perdre dans sa maison est le propre de l’animal dépravé véritable 2.
1 Comment je vois le monde. Einstein
2 Rousseau voit l’homme qui médite comme un animal dépravé. Je crois au contraire que c’est l’homme qui ne pense jamais et qui ne s’interroge donc jamais sur sa propre nature, celui-là même qui finit par obéir à ses instincts sans le savoir et par s’égarer que l’on peut qualifier d’animal dépravé.