De l’importance de nommer les fléaux

Tant qu’il dort, celui qui fait un mauvais rêve ne réalise pas qu’il est en train de faire un mauvais rêve. Il faut qu’il se réveille pour cela. C’est en effet au moment précis où il se réveille, c’est-à-dire au moment précis où sa conscience ouvre les yeux qu’une personne peut se dire qu’elle était en train de réaliser un mauvais rêve, qu’elle peut mettre des mots sur ce qu’elle vivait : « cauchemar ». Quand les peuples vivent des périodes troubles, c’est la même chose. La plupart des hommes n’ont pas les définitions justes de ce qu’ils vivent au moment même où ils le vivent. Ils n’ont pas les mots pour décrire, conceptualiser, conscientiser ce qu’ils vivent. C’est toujours quand ils se les remémorent qu’ils parviennent à poser les mots dessus et qu’ils se disent : « Ah ! Mais c’est donc cela que nous avons vécu, c’était horrible ». Ainsi en va-t-il pour le peuple en tyrannie. Sans compter les formes de tyrannie nouvelles dont les outils et les méthodes n’ont pas encore été conceptualisés, décrits, analysés, conscientisés ! La société pharmaco-punitive, qui est ce que je nomme une société de tacite répression, en est un exemple. Voilà pourquoi je décide de la nommer, de la décortiquer au microscope : pour accélérer le processus de conscientisation du mal. Car cette conscientisation est l’étape inéluctable qui permet à un peuple de se battre contre lui. La première étape pour combattre un fléau, c’est avant tout de le nommer. Nommer le mal c’est commencer à le combattre. Aussi quand de nouvelles formes d’autoritarisme ou de totalitarisme pointent le bout de leur nez, il faut les analyser et les nommer. Les nommer pour que les gens puissent les dénoncer. En effet, nommer le mal permet aux gens de bien prendre conscience de son existence mais aussi de le dénoncer. Eh oui, si « mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », mal nommer, pire, ne pas nommer un fléau, en l’occurrence une nouvelle forme d’autoritarisme, c’est retarder la prise de conscience collective de l’ancrage de cette nouvelle société autoritaire.

Les choses qui n’existent pas n’ont pas encore de noms. Et même quand elles existent, si personne ne les a baptisées, elles n’existent pas dans le conscient des gens mais seulement dans leur inconscient. Il faut donc nommer, conceptualiser afin que les gens conscientisent le réel dans un premier temps pour pouvoir le combattre si nécessaire dans un second temps.

Extrait de ploutocratie, la cause des causes de tous nos maux ? Essai à paraître.