La Nature a offert un moi aveugle programmé pour survivre et donc pour avoir faim à chacune de ses créatures. Mais elle a offert à une seule de ses créatures, un moi capable d’être obnubilé par la vérité. Ce dernier, contrairement au moi aveugle programmé pour survivre peut être anéanti si on réunit toutes les conditions nécessaires pour cela, c’est-à-dire si on l’enferme dans une salle de classe où règnent la contrainte et la pression au moment même où il ne demande qu’à sortir et observer le monde pour le comprendre, bref au moment même où il a besoin de libertés et de temps pour penser.
Mettre des enfants dans une salle de classe où ils doivent apprendre des livres sous la pression du résultat et la contrainte du temps, et cela dans une concurrence sauvage, revient à demander à des enfants de courir les uns contre les autres. On ne peut pas faire le soixante mètres haies et méditer sur le monde en même temps. Or, l’École, en demandant à ses élèves de courir les uns contres les autres et derrière le succès, les empêche de penser et d’éveiller leur conscience.
Demander à des enfants de s’assoir dans des salles et d’écouter l’autorité pour ensuite apprendre ce qu’elle a dit, les mettre dans des salles pour qu’ils écoutent cette autorité qui aura ensuite la mission de les classer en trois groupes, ceux qui ont bien appris ce qu’elle a dit, ceux qui l’ont moyennement appris et ceux qui n’ont rien appris, revient à réunir des enfants dans des salles de classe et les faire courir sur des tapis roulants pour voir lesquels courent le plus vite ou le plus longtemps, lesquels courent le moins vite ou le moins longtemps. Ceux qui courent depuis leur plus jeune âge tous les jours avec leurs parents pour travailler leur endurance seront naturellement les premiers de la classe, ceux qui, pour le souper et le déjeuner, mangent du chocolat sur le divan, les derniers. On a alors inventé un système malsain et injuste pour classer les élèves.
Les élèves sortent de ces salles épuisés, les mollets musclés mais sans avoir pensé. Ils en sortent en ne connaissant que quelques envies : dormir, manger et jouir. Ils ont passé la journée à « l’École » à ne pas penser et en sortent en continuant à faire ce qu’ils ont commencé là- bas, c’est-à-dire à ne pas penser.
Le fait de devoir faire des exercices le matin, d’appendre des leçons l’après-midi, de refaire des exercices le soir, pour recommencer cette journée le lendemain, et ce au moment même où l’élève ne demande qu’à penser et non à apprendre aveuglément sous la contrainte et la pression, contribue à tuer le moi pensant de l’élève. L’École tente de développer les dimensions de l’intelligence de ses élèves mais les empêche de penser, elle veut les rendre brillants mais aveugles.
Développer les capacités du cerveau d’une créature de la Nature qui pourrait penser, c’est-à-dire d’une créature de la Nature qui pourrait prendre conscience qu’elle est dotée d’une force aveugle la poussant à lutter pour sa survie, et faire cela en se moquant de faire grandir son moi pensant, pire en l’anesthésiant, est un jeu risqué. Si la plupart des hommes sont des loups pour les hommes, c’est parce qu’ils se moquent de penser ou, ce qui est pareil, parce qu’ils ont un moi pensant faible. L’homme sauvage est un loup pour l’homme, celui civilisé non. Ce dernier est au contraire un gardien pour l’homme. Il est inutile et même dangereux de rendre intelligents les hommes sauvages ; il est en revanche crucial de les faire penser. Car l’homme comme le loup est programmé par la Nature pour survivre et donc pour être le gardien de son corps et le concurrent du corps de son frère. En développant l’intelligence d’un homme sans le faire penser, ce dernier obéira à cette Nature qui évolue en lui à son insu, il sera un loup intelligent pour son frère, mais un loup toujours ! La Nature n’a pas offert de moi capable d’introspection au Loup, ce dernier est contraint d’être un loup ou, ce qui est pareil, un concurrent pour son frère, mais elle a offert à l’homme un moi qui pourrait lui permettre d’être le gardien de ses frères.
L’École, celle à qui on confie les adultes de demain, en empêchant les enfants de penser, en les mettant en concurrence les uns avec les autres, pour enfin les livrer à une société au système compétitif où chaque homme est le concurrent de son frère, est une fabrique de loups, de sauvages.