Des analphabètes qui savent lire

Que l’on laisse penser librement les élèves, c’est-à-dire que l’on laisse grandir et que l’on stimule leur curiosité et on constatera que les enfants entreront dans la salle de classe avec le même enthousiasme que pour aller en récréation. La salle de classe deviendra alors une cour de récréation où l’on apprend des choses.

Ne pas laisser penser les élèves, ne pas les laisser s’interroger ou ce qui est pareil, ne pas laisser leur petit moi curieux grandir, et se contenter de leur demander d’apprendre à lire pour ensuite leur demander de lire un livre et de l’apprendre en continuant à ne pas penser, équivaudrait à demander à des personnes de s’assoir à table et de manger sans avoir éveillé leur appétit, pire en le leur ayant coupé ! D’abord il y a lieu de faire grandir le moi  qui s’interroge et veut des réponses, ensuite de demander aux élèves d’apprendre les réponses ou, ce qui est pareil, d’apprendre les leçons. Chaque réponse est une leçon. Celui qui écoute une réponse parce qu’il s’est posé une question aura appris naturellement cette réponse, celui qui écoute une réponse et l’apprend sans s’être interrogé se sera seulement ennuyé.

Celui qui demande à ses convives de s’assoir à table et de manger, en se fichant d’éveiller leur appétit, s’y prendra comme un piètre hôte. Il pourra même, en forçant ces derniers à manger, leur donner la nausée et tuer leur sain et naturel appétit. L’École qui se moque de faire grandir le moi pensant des élèves et qui se contente de leur demander d’apprendre, fait la même chose, elle tue leur faim de connaissance. Elle fait l’inverse de son devoir, c’est-à-dire quelque chose d’insensé, car moins un enfant pense, moins il s’interroge et veut connaître les réponses à ses interrogations. Plus il a le temps et la liberté de penser, plus il s’interrogera et voudra des réponses.

Celle qui se prétend être l’École fait entrer dans ses murs les êtres qui ont le plus faim au monde : des enfants pleins d’interrogations, elle leur demande de lire et d’apprendre les leçons or, ces mêmes enfants sortent de ses murs en ayant qu’une seule envie, refermer les livres et courir le plus loin possible dans la direction opposée. Celle qui se prétend être l’École a réussi à faire croire à ses élèves qu’elle est un endroit ennuyeux, pénible et angoissant, alors que l’École véritable est précisément l’inverse : un lieu passionnant, joyeux et rassurant. Tous les enfants du monde ne demandent qu’à y aller. Ils se posent sans cesse des questions, leur curiosité est une petite flamme qui ne demande qu’à grandir et « l’École » a posé une pile de livres dessus ! Elle l’a éteinte alors que sa mission est de l’entretenir et de la faire grandir. Celle qui se fait passer pour l’École a tué le moi pensant d’un nombre incalculable d’enfants. Le moi pensant, ce moi intérieur capable de regarder l’Univers en disant « pourquoi ? » est la petite et immense chose qui différencie l’homme de l’animal, ainsi en empêchant celui d’un homme de grandir, l’École l’empêche de devenir un homme civilisé  et se contente grosso modo d’enseigner à lire, écrire et compter à un sauvage : une personne qui n’a aucune capacité d’introspection pour comprendre qui elle est et qui de toute façon, s’en fiche. Celle qui se prétend être l’École est responsable du plus grand crime de l’Histoire : le génocide des consciences ou, ce qui est pareil, des hommes civilisés .

Une École véritable s’efforce de faire penser ses élèves pour qu’ils s’interrogent, se demandent qui ils sont et vivent pour avoir la réponse. Ainsi feront-ils le premier pas pour prendre conscience de la Nature qui évolue et qui commande en eux, pour faire connaissance avec eux- mêmes et pour devenir des  des hommes civilisés .

Le but de l’École véritable est de rendre les enfants toujours plus curieux afin qu’ils vivent pour connaître la vérité et pour qu’ils gardent ce fonctionnement après l’avoir fréquentée, c’est-à-dire pour qu’ils deviennent des adultes véritables. La curiosité grandit en même temps que le moi pensant, elle est le fruit de ce dernier. On ne peut pas demander à une pomme de naître si on n’arrose pas le pommier, c’est pourtant ce que fait l’École. Elle demande aux enfants d’apprendre sans arroser leur moi qui veut connaître, leur moi pensant . Ce dernier grandit quand il est libre. L’École véritable laisse ses élèves penser dans une ambiance saine et sereine, c’est-à-dire sans contraintes ni pressions d’aucune sorte. Vous trouvez mon point de vue utopique ? Cela tombe bien puisque c’est justement ces horizons que je tente d’apercevoir de mes jumelles. Si c’est chose impossible de laisser les enfants penser sans contraintes, ni pressions d’aucune nature, alors l’École ne peut fatalement pas exister puisque la mission de cette dernière est de faire grandir la conscience des élèves, de les aider à se trouver, à devenir des adultes véritables, et tout cela est impossible sous la pression, la contrainte et dans une concurrence sauvage. Pour grandir, le.moi pensant  a besoin de liberté, d’oxygène. Demander à des enfants d’apprendre toute la journée sans les laisser penser, c’est les plonger en apnée. C’est intenable.

Demander à des enfants d’apprendre un livre sans s’occuper de faire grandir leur moi pensant, revient à demander à une pomme de naître sans jamais arroser le pommier ! En faisant grandir leur moi pensant, les élèves passeront leur temps à lire. Lire les livres qu’ils auront sous la mains, mais aussi et surtout, lire le plus grand livre de l’Univers : celui qui ne se range dans aucune bibliothèque et qu’un illettré peut lire, le Livre que se lit sans aucun signe, sans aucune lettre, en regardant directement le ciel et les étoiles. Certains hommes sont analphabètes et ont lu beaucoup plus que d’autres qui ont lu tous les livres de la bibliothèque de l’École. Celui qui vit pour penser lit en permanence. Celui qui ne vit pas pour penser, même s’il connaît son alphabet par cœur, utilise ses yeux pour lire des lettres qui forment des mots. Mais ses yeux ne sont que des outils ayant la mission de transmettre des informations au moi pensant, or puisque ce dernier ne fait pas son travail chez lui, c’est-à-dire qu’il est éteint,  il ne pense jamais à ce que lui montrent ses yeux. Lire sans penser est facile, un ordinateur en est capable. Mais pour un homme, ce n’est pas suffisant.

Qui est l’analphabète entre celui qui a lu un livre sans penser, sans s’être interrogé sur ce qu’il a lu et sans avoir compris et celui ne sait pas lire et n’a donc pas lu ce livre mais est parvenu seul aux mêmes conclusions que l’auteur de ce livre ? Qui est l’analphabète entre celui qui a lu et même appris un livre traitant du ciel mais sans s’être interrogé sur ce qu’il lisait et celui qui ne sait pas lire, n’a donc pas lu ce livre, mais a passé sa vie à regarder le ciel en s’interrogeant sur ce dernier et en vivant pour connaître les réponses à ses interrogations ? C’est assez étrange à dire mais je crois que « l’École » fabrique des analphabètes qui savent lire : des gens qui lisent et écrivent fort bien mais qui n’ont aucun esprit critique et qui se moquent totalement de la vérité.