Visualiser l’« arbre généalogique des problèmes »

Visualiser l’« arbre généalogique des problèmes »

Les plus grandes révolutions commencent d’abord par des idées et des prises de conscience. À défaut d’idées, il ne peut y avoir de réelles révolutions et on a souvent affaire à des manifestions d’hommes bêlant contre des conséquences de la cause commune à leurs maux. Des hommes qui bêlent, qui chantent, et parfois même dansent. Moi, je ne fais pas toutes ces choses-là et ne les ai jamais faites car je ne pense pas que l’on puisse reconquérir sa liberté ou gagner sa souveraineté autrement que par une profonde réflexion préalable sur la cause de leur perte. Que fais-je alors ? Eh bien, en chaussons chez moi au moment même où j’écris ces lignes, je suis plus révolutionnaire qu’un milliard, que dis-je, cent mille milliards de milliards de personnes qui sifflent, hurlent ou chantent dans la rue avec des fumigènes multicolores et des slogans contestataires, pour extérioriser en sons et en lumières leur mécontentement devant les conséquences de la cause commune à tous leurs maux : les mauvaises lois ! Moi, disais-je, assis sur mon lit à l’abri du brouhaha, je médite sur la racine de ces maux et tente par ma plume de réveiller mes semblables ! Eh oui, manifestant, chante un peu moins et révolutionne un peu plus, sinon tu risques de connaître les chants révolutionnaires par cœur et d’oublier la révolution que tu souhaitais voir naître. Dans la société actuelle, un authentique philosophe est plus révolutionnaire qu’un million de syndicats ou de manifestants ! Faites germer le moi philosophe dans le cerveau des enfants, et le printemps humain ne tardera pas à fleurir.

La conscience est le fruit de ce moi philosophe, de ce moi-pensant. Je crois que plus on fait penser un être humain, plus il s’interroge. Dès lors, plus on fera penser les enfants, plus ils se demanderont si le fait de choisir un chef signifie avoir le pouvoir. Plus on s’attachera à cela, plus les adultes auront les épaules pour douter de la réponse et plus ils seront concernés par cette dernière. L’homme jouissant d’un moi-pensant mature ne peut rester indifférent au discours de celui qui lui dit que telle chose qu’il croit être vraie est fausse. Il mettra sagement ses croyances sur pause et plongera dans les eaux profondes de son esprit pour traquer la vérité. Il sera allergique au discours de surface. C’est cet homme-là qui cherchera la cause commune à tous ses problèmes. Cet homme-là possède une vision globale des problèmes de la société : quand il médite sur un problème, il ne focalise pas toute son attention sur lui uniquement, mais tente de le placer dans l’« arbre généalogique des problèmes » pour en chercher le tronc commun. Cette vue d’ensemble épargne à tout un chacun de s’en prendre vainement à des conséquences de la cause commune. Sans cette façon d’être au monde, sans cette vision globale, on se crée des œillères qui empêchent de voir que la branche dérangeante que l’on scie est le prolongement d’une autre branche qui naît elle-même d’une autre branche qui naît elle-même d’un tronc dont on ignore l’existence parce qu’on ne le cherche pas, lui qui donnera des branches à l’infini. Branches contre lesquelles on s’épuisera à se battre, en vain. Si tu ne recherches pas le tronc commun, lecteur, tu ne cesseras de scier des branches, plus ou moins grosses, plus ou moins gênantes, toute ta vie, en ignorant leur origine ! En revanche, celui qui pense et qui cherche la « cause des causes » de ses problèmes prend le recul nécessaire pour bien discerner le tronc commun à ces derniers. Au fur et à mesure que sa pensée se développe, il discerne de plus en plus de causes et identifie la cause directe à chaque problème. Fort d’un moi-pensant développé, à chaque fois qu’il identifie une nouvelle cause, il intériorise la question : « Quelle est la cause de cette cause ? », jusqu’au point où il parvient à avoir assez de recul sur cet « arbre des problèmes » et à en mesurer le tronc. Pour moi qui suis en train d’écrire ces lignes, le tronc commun à tous nos maux citoyens est que les citoyens se moquent de chercher ce tronc. Ils sont la « cause des causes » de tous mes problèmes et aussi des leurs, les pauvres. Eh, oui quand nous approfondissons notre pensée, nous finissons par nous rendre compte que la cause des causes de tous nos maux est notre impuissance face au triomphe des mauvaises lois, mais quand nous poursuivons nos efforts dans cette quête, nous finissons par comprendre que cette cause n’est autre que les gens qui, non seulement ne voient pas cette cause et pleurent sur les mauvaises lois, mais pire, ne recherchent pas cette « cause zéro » ! En ne la cherchant pas, ils ignorent un fait aussi drôle que pathétique : ils sont la « cause des causes » ! Ils sont la cause première de leurs maux, et ce à leur insu.