Faire grandir le moi-pensant
Cher Étienne Chouard, je partage votre point de vue sur le fait que nous ne sommes pas en démocratie. Comme vous, je me questionne pour savoir quelle est la « cause des causes » de tous les maux du monde des hommes et le moins que je puisse dire, c’est que celle que vous pointez du doigt est très sérieuse. Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de sujets plus sérieux que cela en ce qui concerne les sociétés humaines. Cet essai est le troisième que j’écris pour dénoncer le système représentatif actuel, c’est-à-dire le modèle adopté par la quasi-totalité des pays au 21e siècle ! Je suis conscient que la cause de l’impuissance politique des citoyens est qu’ils ne participent en rien à l’élaboration des lois, mais je me demande aussi quelle est la cause du fait qu’ils se contentent de choisir leurs maîtres sans comprendre qu’en procédant ainsi, ils renoncent au pouvoir : à la démocratie. Ma conclusion : si les gens n’évoluent pas en démocratie, c’est parce qu’ils sont incapables de se demander s’ils sont en démocratie ou non. Parce qu’ils n’osent pas se poser la question, parce qu’ils n’osent pas savoir. En d’autres termes, je suis arrivé à la conclusion que la « cause des causes » est que les gens ne se demandent pas quelle est la cause des causes de tous leurs maux et ce, justement parce que leur moi qui s’interroge est immature !
Nombre de maux dans la société, peut-être tous, sont des conséquences de ce que vous pointez du doigt, c’est-à-dire des conséquences du fait que les hommes ne s’expriment pas et offrent leur voix à des professionnels de la politique, pensant ainsi détenir le pouvoir. Mais quelle est la cause qui les pousse à se comporter ainsi ? Eh bien cette cause est qu’une grande partie d’entre eux se moquent de la vérité comme ils se moquent de rechercher l’utopie. Ils sont autant insensibles à la vérité et à l’utopie que le sont les singes qui peuplent les forêts et les jungles depuis des millénaires ! Par conséquent, je crains que lire ces lignes ne les remuera pas davantage que cela, pas plus que vos discours vivifiants, profonds et émancipateurs !
L’important n’est pas tant d’avoir compris que l’on n'évolue pas en démocratie, l’important, la clef, c’est être prêt, par amour de la vérité, à remettre ses propres croyances et connaissances en question. Une personne véritablement éveillée qui entend qu’elle n’évolue pas en démocratie alors qu’elle est persuadée du contraire depuis son enfance, ne pourra pas aller se coucher l’esprit tranquille sans repenser à cette déclaration ni se réveiller le lendemain en reprenant ses activités quotidiennes comme si elle n’avait rien entendu de grave la veille. Et pourtant, c’est ainsi que se comporte la grande majorité des hommes qui entendent de votre bouche ou de celle d’un autre les idées que vous défendez ! Ainsi va le monde, peuplé depuis toujours d’individus qui se moquent de la vérité et qui restent de marbre face à des idées révolutionnaires. Cette réalité ne date pas d’hier, il y a vingt siècles déjà, Platon l’explique en montrant combien il est difficile pour l’être humain de remettre en question les croyances alors admises par tout le monde depuis toujours, et d’écouter sans réticence les discours de celui portant sur la juste remise en question des idées acquises et préconçues. La majorité des hommes entendait hier : « La Terre n’est pas plate mais ronde » ou bien « L’Homme descend d’un ancêtre commun avec le singe », alors qu’ils étaient persuadés du contraire et allaient se coucher sans en être plus remués que cela ! De la même manière, s’ils entendent aujourd’hui qu’ils ne sont pas en démocratie alors qu’on leur rabâche le contraire depuis leur enfance, ils ne sont pas plus chamboulés que cela et vont se coucher le soir venu sans y repenser. Pourquoi ? Eh bien parce qu’avant d’aller se coucher, ils dorment déjà ! Debout peut-être mais ils dorment ! Eh oui, depuis l’aube des Temps la plupart des humains font beaucoup de choses avant d’aller dormir, sauf une, le métier de l’Homme : douter ou, ce qui est pareil, penser. Lorsque l’on dit à des « somnambules » qu’ils n’ont aucun pouvoir, c’est-à-dire lorsque l’on dit à des gens qui se moquent de la vérité qu’ils ne sont pas en démocratie, ils n’en sont ni frustrés ni chamboulés. S’évertuer à leur faire admettre cet état de fait est inutile et épuisant. Ils pourront certes apprendre qu’ils ne sont pas en démocratie comme on apprend une leçon à l’école, mais ils s’en moqueront ! Ce qu’il convient de faire, c’est de les réveiller ! Comment ? En les faisant penser, mieux en faisant grandir leur moi-pensant. C’est l’hypothèse de mon Œuvre.