Lors de ces manifestations de l’été 2021, j’avais envie de dire aux manifestants ce que je vais leur dire dans ces lignes : Peuple, pour faire tomber les projets législatifs que tu trouves liberticides, fais d’abord tomber le système qui a permis à tes prétendus représentants de les voter sans que tu ne puisses rien faire d’autre que de les dénoncer en cortège. À la limite, manifestants, au lieu de pester en groupes et en chansons contre les projets liberticides, criez contre le procédé qui leur a permis d’exister : la démocratie représentative du 21e siècle ! Comprenez que pour faire tomber ce procédé, la méthode est moins énergivore que les manifestations. Moins énergivore et plus efficace : pas besoin de passer vos samedis dehors. Refusez simplement la procédure qui consiste à élire votre maître, réécrivez quelques règles du pouvoir, et le tour est joué ! J’ose presque dire à mes concitoyens, à ceux-là mêmes qui habitent dans le pays de La Boétie : soyez résolus à ne plus élire et vous voilà en démocratie ! Prudence toutefois, car refuser la procédure qui consiste à élire son maître, c’est-à-dire l’abstention, n’est pas à coup sûr suffisant pour faire s’écrouler la pseudo-démocratie. En effet, si seuls ceux qui ont compris l’arnaque de l’élection s’abstiennent d’élire, le système trompeur qui met le peuple sous tutelle en prétendant lui offrir le pouvoir, perdurera. Pour que l’abstention soit efficace, elle doit procéder d’un acte que je défends : une prise de conscience collective des humains. Une prise de conscience collective qui passe par autant de prises de conscience individuelles qu’il y a d’individus adultes dans le pays. C’est-à-dire par un éveil général du moi-pensant.
Après mûre réflexion, quand je vois que les gens ne parviennent pas faire le lien entre les lois contre lesquelles ils pestent et le fait qu’ils élisent des maîtres qui votent ces lois sans leur accord ni leur contrôle, quand je vois qu’ils ne comprennent pas que le procédé électoral permet toutes les dérives, quand bien même on le leur explique, alors une sorte de pessimisme m’envahit et je ne suis plus si certain que l’entreprise consistant à faire grandir le moi-pensant des humains pour qu’ils comprennent enfin la nécessité d’en finir avec le procédé qui les dépouille soit le moins énergivore.
C’est assez désespérant, il faut l’avouer. C’est comme si faire comprendre aux gens que l’élection d’un maître les rend impuissants revenait à leur demander de méditer sur le libre arbitre et le déterminisme de Spinoza ou sur l’Éternel Retour de Nietzsche. Or faire tomber le procédé électoral de la démocratie dite représentative, cause de tous les malheurs des peuples, pourrait être simple. Hélas on dirait que cela revient à leur demander de soulever une montagne. Bien malin celui qui réussira à faire intégrer aux humains l’évidence que les élections pour la représentation indirecte sont la cause de tous leurs maux. Que prendre la couronne tous les cinq ans pour choisir sur quelle tête la poser, c’est refuser le pouvoir à coup sûr et c’est prendre le risque de l’offrir à son futur traître ou même tyran. Mais quel mal frappe les hommes depuis deux cents ans pour qu’ils ne comprennent pas que poser la couronne sur la tête d’un autre, via les urnes, c’est renoncer à la démocratie et c’est prendre le risque de faire naître un régime autoritaire ! Je me répète : bien malin celui qui fera sortir les humains du 21e siècle de la Caverne des somnambules : les électeurs qui élisent en dormant ! Car ayant passé des années à observer les comportements humains et à débattre avec des concitoyens, je réalise que cette évidence ne sera pas intégrée tout de suite par tout le monde. Je crains que le mal qui les empêche de voir clair soit plus profond qu’il n’y paraît. Je crains que les gens ne disposent pas du matériel nécessaire, un moi-pensant mature, pour comprendre cette idée toute simple. Et enfin, je crains que les conditions nécessaires pour faire mûrir ce moi intérieur générateur de prises de conscience mettent longtemps à se réunir. Bref, je crains que le Diable ait encore quelque années à rire devant lui.
Mes longues années de méditation sur les hommes m’ont amené à la conclusion suivante : il faut tenter une autre approche d’éveil, se placer sous un autre angle d’attaque. Lequel ? Tenter de faire grandir leur moi-pensant car le faible moi-pensant des hommes n’est pas seulement la cause de toutes leurs sottises, c’est aussi la cause de tous leurs malheurs : la « cause des causes ». Étant donné qu’il est vain de donner à boire à un âne qui n’a pas soif, je pense qu’il faut faire grandir cette sensation de soif chez l’Homme. Cette volonté de savoir ou vouloir-savoir. Sa soif de vérité. Soif qui est le fruit d’un moi-pensant développé et qui peut donner naissance aux prises de conscience. Car c’est seulement avec des prises de conscience que les révolutions se font. Eh oui, de même que « si la population comprenait le système bancaire, il y aurait une révolution avant demain matin[1] », de même, si elle comprenait les tenants et les aboutissants du système électoral, il y aurait une révolution démocratique l’année suivant cette prise de conscience. C’est pour cela que révolution sans prise de conscience, et par conséquent, sans moi-pensant mature, ça n’existe pas. Ce dont je suis intimement convaincu, et ce depuis de nombreuses années, c’est que des cours de philosophie dès la maternelle, et j’entends par-là des instances où l’objectif est de faire penser les enfants pour que grandissent leur esprit critique, leur capacité à douter méthodiquement, leur moi intérieur capable de prises de conscience, leur curiosité, leur désir de rechercher la vérité, des instances où la mission première est de faire penser l’enfant, de lui enseigner à penser par lui-même, à suspendre son jugement, à remettre en question les dogmes mais aussi ses croyances, à « oser savoir »[2], à vouloir-savoir, bref des instances où l’objectif est d’échanger avec le petit enfant sur la justice, l’égalité, le bonheur, la société etc., c’est-à-dire de l’aider à devenir un adulte véritable, ferait mûrir en lui ce qui fera tomber sans violence tout système assujettissant, dont la pseudo-démocratie représentative : son moi-pensant. C’est l’hypothèse de toute mon œuvre et je crains que ce soit aussi celle des maîtres du jeu.
[1] Henry Ford, né le 30 juillet 1863 à Dearborn (Michigan, États-Unis) et mort le 7 avril 1947 dans la même ville, est un industriel américain de la première moitié du 20e siècle et le fondateur du constructeur automobile Ford.
[2] Kant