Se battre contre des conséquences d’un problème sans l’avoir identifié. Lettre ouverte à Étienne Chouard

Je peux me tromper mais je ne crois pas que l’imposture qu’est la démocratie indirecte actuelle tombera lorsque tous les peuples humains connaîtront vos idées, ni même quand ils les auront apprises par cœur mais lorsqu’ils se « réveilleront » : lorsqu’ils vivront tous pour connaître ce qui semble vous intéresser, la vérité et la justice. C’est-à-dire lorsqu’ils vivront pour penser !

Cher Étienne Chouard, mon intuition me porte à penser que vous êtes une personne éveillée — une personne motivée par la vérité et effrayé par le triomphe du faux — mais je crois aussi que votre éveil ne date pas du jour où vous avez compris que vous n’étiez pas en démocratie. J’ai le sentiment que votre éveil a débuté le jour où vous avez commencé à vous interroger et à vivre pour trouver les réponses à vos interrogations. Je développe l’idée qu’un homme commence son éveil par un questionnement sincère sur tout et que la quête des réponses à ses interrogations fait le reste. C’est ce moteur de recherche de vérités qui, selon moi, vous a permis de prendre conscience que le peuple, comme vous-même, n’avez aucun pouvoir politique ! Le peuple, je le répète, ne doit pas apprendre par cœur ce que vous avez compris. Il ne doit pas être « contaminé » par vos idées mais par votre façon d’être au monde : il doit développer, faire grandir son moi-pensant ! Là est la clef. Loin de penser que votre œuvre est stérile ou sans écho, puisque je crois au contraire qu’elle est une des plus importantes dans la Cité des hommes en ce début de 21siècle, je déduis toutefois que semer des graines dans des cerveaux qui « dorment » ne réveillera pas ces cerveaux à coup sûr. Me concernant, vous ne m’avez pas réveillé, je l’étais déjà, sans quoi je n’aurais pas été stimulé par vos idées émancipatrices et je n’aurais pas progressé avec vous sur la voie de la vérité. Alors qu’avez-vous fait pour moi ? Vous avez semé une graine dans mon jeune cerveau, qui était prêt à la recevoir, et je vous en remercie. Grâce à votre graine et à mon moi-pensant mature — cet engrais sans lequel les prises de conscience n’éclosent pas — j’ai fait grandir dans mon esprit un arbre gigantesque : une prise de conscience monumentale, à savoir que je ne suis pas en démocratie et que je ne l’ai jamais été. Pas plus que mes parents et mes grands-parents. Si mon cerveau n’avait pas été réveillé, votre graine n’aurait pas plus pris qu’une graine de tomate placée dans du ciment frais !

Pour que vos idées se réalisent, elles doivent toucher des cerveaux éveillés. Il faut donc réveiller les hommes pour qu’ils ne soient plus les somnambules productifs de toutes les sociétés où ils naissent : des hommes qui, dans la société actuelle, travaillent, consomment, élisent un maître et s’habituent à ce mode de vie jusqu’à le trouver normal. 

En d’autres termes, bien qu’un tantinet réducteurs, il serait possible de résumer l’hypothèse de mon œuvre ainsi : la cause des causes de tous les maux du monde des hommes n’est autre que leur sottise, fruit d’un manque de sagesse : d’une incapacité à remettre en question ce qu’on leur enseigne.

C’est donc sincèrement que je prône l’importance du réveil des hommes et de l’enseignement de la sagesse, c’est-à-dire l’importance de les aider à faire grandir leur moi-pensant, père de l’esprit critique humain. L’importance de les rendre sensibles à la vérité, condition préalable pour faire germer des graines dans leur esprit. L’importance de refondre tous les programmes scolaires et d’y inclure en priorité la méditation sur l’Homme, l’Univers et l’éveil du moi-pensant.

Mon hypothèse est que la « cause des causes » n’est pas tant l’impuissance politique des gens mais le fait qu’ils ne soient pas conscients de cette impuissance, et ce, parce qu’ils ne sont pas faits de la même veine que vous semblez être fait : sensible à la vérité. La plupart des hommes y est indifférente, pire, en a peur pour ce qu’elle leur apporterait de bouleversements et d’inconforts. Ainsi ne se demandent-ils pas quelle est la « cause des causes » et vivent-ils encore moins pour trouver la réponse. Ils s’en moquent, ils ne sont pas sages, ils sont paresseux intellectuellement. Ils sont victimes des voleurs de pouvoir, certes, mais ils ne sont pas totalement innocents : leur fainéantise et leur soumission intellectuelles les rend coupables !

J’insiste : le fait de ne pas participer à l’élaboration des lois et de ne pas avoir le droit de contrôler ceux qui les font est certes une cause majeure de tous nos maux, mais je crois que la cause commune à tous ces maux est l’indifférence des gens face à la recherche de la cause commune à toutes les injustices que leurs ancêtres ont subies, qu’ils subissent et que leurs enfants subiront. La quasi-totalité des hommes se comporte comme un pyromane somnambule qui dans son sommeil mettrait le feu à la forêt et à son réveil se battrait de toutes ses forces pour éteindre les flammes avec des verres d’eau. Ô pauvre pyromane qui t’endors épuisé après avoir dépensé beaucoup d’énergie pour venir à bout de l’incendie et qui te réveilles debout, au milieu de la forêt, une boite d’allumettes dans les mains et un feu à éteindre. Tu ne te rends pas compte que la « cause des causes » de cet incendie n’est autre que toi. Toi qui n’utilises jamais ton énergie pour te demander quelle est la « cause des causes » de cet incendie et qui te contentes de l’utiliser pour te battre contre les conséquences de cette cause, ton environnement qui brûle. Aux yeux de qui s’interroge sur le monde et médite sur les réponses à ses interrogations, tu dors en permanence : quand tu mets le feu à la forêt dans ton sommeil et quand ton cerveau prend conscience des flammes à ton réveil et tente de les éteindre. La « cause des causes » de toutes les injustices dont souffrent les humains est que la quasi-totalité des hommes est aveugle. Et quel est le propre des aveugles ? Se battre contre des conséquences de la cause commune et non contre cette dernière qu’ils n’ont pas identifiée par ce qu’ils se moquent de la rechercher. Les aveugles sont condamnés à la superficialité intellectuelle. Cette superficialité en fait des ennemis de la souveraineté populaire. Elle les rend dangereux pour leur entourage comme pour eux-mêmes. La quasi-totalité des hommes se comporte comme de parfaits aveugles : ils utilisent mal leur énergie. Eh oui, le monde n’est pas seulement dangereux à vivre à cause de ceux qui mettent le feu, il l’est aussi à cause de ceux qui se battent contre les flammes sans s’interroger sur leur origine. En ne sachant rien sur ces flammes et en ne pensant qu’à les combattre, les citoyens qui ne s’interrogent pas leur permettent de faire des ravages. Ces pauvres aveugles ont peur des conséquences des incendies mais en manquant de curiosité quant aux causes de ces derniers, ils leur assurent une existence cyclique et systémique.