Je suis réaliste et le réalisme me contraint à une conclusion pessimiste : ce n’est pas demain la veille que le peuple s’unira comme un seul homme pour chercher la cause commune à tous ses maux. Aujourd’hui encore, j’assistais à la sempiternelle scène à laquelle j’assiste depuis ma naissance : un homme dans la rue se plaint des directions que le Président a décidé de prendre pour le pays. Cet homme, hors de lui, vocifère : « Mais vous rendez-vous compte ? Ce que fait le président est liberticide, c’est un abus de pouvoir, c’est révoltant ! » Moi qui observe cet homme se plaindre et qui médite depuis dix ans sur cette société, ses maux et les comportements humains, je ne sais pas ce qui me frustre le plus aujourd’hui : les abus de pouvoir du président ou cet homme, désabusé avec raison mais qui ne se rend pas compte que la cause de ces abus de pouvoir n’est autre que le fait qu’il n’en a aucun, de pouvoir. Pire, qu’il entretient cette cause en cautionnant ce système qui a permis au président de commettre ces abus et en étant incapable de se demander quelle est la cause profonde rendant possible ces abus. S’il s’interrogeait en ce sens, il se rendrait compte que cette cause est que la quasi-totalité du peuple et lui se comportent de la même façon : ils se plaignent de ces abus sans en chercher la cause commune ! Après avoir longuement médité sur le sujet, je me demande sincèrement ce qui est le plus choquant : les abus de pouvoir ou le fait que les gens se plaignent de ces abus et ne se rendent pas compte que par manque de réflexion sur la cause profonde de ces deniers, ils sont le problème. Pire, qu’ils sont la cause première de ces abus !
Il ne se passe pas un jour sans que l’on entende dans la rue des choses comme : « C’est grave ce qui se passe avec ces lois liberticides » ou : « Les hommes au pouvoir nous volent, nous autres, petites gens du peuple », mais le plus alarmant dans tout cela, ce sont tous ces gens qui, oui, dénoncent les abus sur la place publique mais n’incriminent pas le système électoral, l’élection d’un maître, et s’en retournent chez eux, soulagés d’avoir dénoncé la gravité de la situation sociale. Oui, le plus alarmant, c’est ce peuple qui se rend compte que tout ce qu’il subit est grave mais qui reste incapable d’en chercher la cause profonde. En ne s’interrogeant pas, le peuple entretient sans le savoir les maux qu’on lui inflige et n’a par conséquent pas conscience que son comportement est plus grave encore que les abus de pouvoir qu’il dénonce. Peuple, comprends que ta paresse intellectuelle est plus mortifère que les maux citoyens que tu dénonces ! Ô pauvre peuple, pauvres citoyens, ai-je envie de dire en entendant vos plaintes de rue hebdomadaires, la cause profonde de ces abus que vous dénoncez est en vous qui ne vous intéressez pas à la racine du mal. Cessez de pleurer sur les mauvaises lois ou sur le pouvoir abusif et plaignez-vous enfin de ne pas avoir le pouvoir ! Soyez cohérents, matures, lucides et productifs dans votre rébellion ! Sinon vous ne serez jamais libres et souverains et resterez des esclaves qui se plaignent des coups de fouet mais qui sont fiers d’avoir le droit de choisir un maître ! Des pauvres esclaves qui ne comprennent pas que les coups de fouet reçus quotidiennement sont la conséquence du fait qu’il se choisissent des maîtres. Eh oui, ce droit qui vous est accordé est un leurre. Ne voyez-vous pas que les coups de fouets et les affronts que vous subissez chaque jour sont les conséquences du fait d’avoir eu à choisir votre représentant sans aucun contre-pouvoir réel ? Hélas, il y a pire qu’être esclave, il y a l’être à son insu ! Et il y a encore pire qu’être esclave à son insu, il y a être esclave à son insu et refuser de l’entendre.